Marée funèbre

Perry, Anne; traduit de l’anglais par Florence Bertrand
Policier & Thriller
10/18, 2018, 378 pages, 14.90 € (Collection Grands détectives)

🙂 🙂 Issue fatale

Parallèlement à celui des enquêtes de Charlotte et Thomas Pitt, Anne Perry développe un autre cycle criminel, dédié à William Monk. Nous écrivons bien « parallèlement », puisqu’ici aussi, c’est l’époque victorienne qui prête son cadre aux intrigues policières que nous propose cette autrice née en 1938 à Londres.

 

Avec « Marée funèbre », c’est à la 24èmeenquête de Monk qu’elle nous convie. Ce dernier est à présent bien installé dans son rôle de chef de la brigade fluviale londonienne et l’amnésie qui l’y a conduit dans les épisodes précédents, même si elle conditionne toujours son regard sur son univers, ne constitue toutefois plus le trait principal de sa personnalité. Monk est marié à Esther, qui apprit le métier d’infirmière aux côtés de Florence Nightingale et garde de la Guerre de Crimée de douloureux souvenirs. Ces souvenirs ne sont toutefois pas de ceux qui empêchent d’agir ou tétanisent celle qui les porte : en l’occurrence, Esther se profile de plus en plus comme l’ancre et la boussole de son policier de mari, le rassurant sur ses compétences en période de doute ou lui indiquant une possible piste à suivre lorsque l’inextricable se présente. On sent le couple très lié, même si -réserve britannique oblige- les démonstrations d’affection sont rares. Autour d’eux gravitent une série de personnages qui constituent leur petit cercle : Crow, jeune médecin responsable d’une clinique venant en aide aux plus démunis de la capitale anglaise ; Scuff, un gamin des rues plus ou moins adopté par le couple et Oliver Rathbone, avocat efficace et dévoué aux causes perdues. C’est ce dernier qui amènera la pénible affaire à laquelle Monk et son équipe devront s’attaquer : l’enlèvement d’une jeune Londonienne, dont le mari fortuné n’hésitera pas à payer la rançon, ce qui n’empêchera pas l’exécution de la malheureuse. Pour Monk, le déroulé des évènements ne laisse aucune place au doute : un de ses policiers a dû renseigner les kidnappeurs. Enquêter sur des hommes auxquels il confierait sa vie, douter d’eux à chaque instant et remettre en cause tout leur passé commun, voilà qui va profondément agir sur le moral du commissaire.

 

Les habitués des histoires développées par Anne Perry ne seront pas surpris à la lecture de « Marée funèbre » : on y retrouve ce savant mélange de flegme britannique, de style précieux et de grands sentiments qui donne parfois à l’ensemble comme une note désuète ou un ton dont l’empathie peut paraître excessive. Il s’agit de la marque de fabrique de la dame, à laquelle il faut ajouter un cadre historique solidement dépeint (et qui donne envie d’en savoir plus), des intrigues presque intimistes et non dépourvues de sous-intrigues destinées à solidement camper certains personnages, et un langage qui colle parfaitement à celui de l’époque victorienne. On ne peut évidemment pas parler ici de suspense haletant, la force des romans tenant plutôt justement à leur longueur, au temps qu’ils prennent pour installer leur intrigue et par-dessus tout, à mettre en scène des personnages à la finesse psychologique remarquable. Là où certains auteurs de policiers prennent plaisir à disperser un nombre incalculable de personnages que l’on peine à identifier, Anne Perry préfère visiblement se reposer sur un nombre restreint d’acteurs, creusés toujours plus profondément au fil des intrigues successives et que l’on retrouve avec plaisir. Le résultat est là : on ne les oublie pas une fois le livre refermé. Et l’on est tenté de plonger dans leurs aventures antérieures ou, pour les connaisseurs, l’on attend avec impatience leur retour.

Nicolas Fanuel

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