Cummins, Jeanine ; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Adelstain et Christine Auché
lu par Mélissa Windal
Livre audio
Paris : Lizzie, 2020, 2 disques compact audio (14 h 20 min), 21,90 €
🙂 🙂 🙂 Car rien ne leur sera épargné
L’Enfer au paradis
Le Mexique : ses plages interminables, ses nourritures épicées, ses fêtes démesurées, ses cités préhispaniques…
Le Mexique : sa corruption, son trafic de drogues, son immigration illégale vers les Etats-Unis, sa violence urbaine, sa misère insondable…
Jeanine Cummins nous emmène loin des cartes postales et des vacances idylliques. Dans ce roman qui a trusté les premières places des ventes Outre-Atlantique, elle nous invite à suivre la fuite d’une mère et de son fils, pour échapper à un cartel particulièrement cruel, dans un périple aventureux, hasardeux et périlleux à travers tout le pays du Sud au Nord.
Ainsi, la famille de Lydia a été décimée par les Jardineros, un cartel qui étend son influence dans tout le Mexique : 16 de ses proches ont péri parce que son mari, journaliste, s’est fendu d’un article sur le chef de ce cartel, Javier. Un homme d’apparence sociable, charmeur et amateur de belle littérature que Lydia avait personnellement rencontré dans sa librairie. Un trafiquant aux mains tachées de sang et à l’âme noire qui ne supportera pas que ces écrits révèlent à sa fille ses véritables occupations meurtrières. Elle choisira le suicide, terrassée par la perte de l’image du père idéal. Lui se vengera, sans pour autant renoncer à ramener à lui Lydia, dont il s’est profondément épris.
La Bête humaine
Traquée, la peur au ventre, Lydia sait que la seule chance d’échapper au pire (la mort ou une vie sous la coupe de Javier) est de parvenir aux Estados Unidos. Pour cela, elle et son fils Luca, 8 ans, devront se fondre parmi la cohorte de migrants, indigènes à la recherche d’une vie meilleure ou originaires des pays limitrophes. Comme il n’est pas question d’emprunter les transports en commun classiques, trop surveillés, ils devront compter sur des aides ponctuelles, comme celle que leur offre Carlos, un missionnaire qui convoie des jeunes filles jusqu’à Mexico, et sur une bonne dose de chance.
Il en faut pour survivre à La Bestia : un train de marchandises qui remonte vers el Norte et sur le toit duquel les candidats à l’exil volontaire doivent voyager, sommairement accrochés.
Au coeur de cet enfer, les deux fuyards se lient d’amitié avec deux toutes jeunes filles, Rebeca et Soledad. De sacrées débrouillardes venues du Honduras qui ont déjà connu leur lot de déboires et de violences. Il y a aussi Lorenzo, un narcos repenti qui tente de gagner la confiance de Lydia – alors que sa possible duplicité pourrait lui coûter la vie à tout moment. Ou encore le jeune Beto, une tête brûlée, roublard et têtu.
Abandonnant la bête humaine pour louer les services d’un Coyotè, un passeur, le petit groupe se prépare bientôt à leur épreuve la plus redoutable : la traversée du désert jusqu’à la frontière américaine, puis, au-delà, dans une contrée à l’abandon d’où ils risquent à tout moment d’être renvoyés chez eux.
L’humanité en perdition
Road movie haletant, American Dirt ne laisse que peu de répit une fois sa lecture (ou, en l’occurrence, ici, son écoute) débutée. L’univers de peur omniprésente, de menace latente, de violence en tout genre que dresse l’auteure donne une image désespérante de la race humaine. Rien ne sera épargné aux personnages du livre – parfois à la limite du pathos – l’auteure dressant sur leur chemin (de croix) toute une série d’obstacles potentiellement létaux. Mais ces mêmes personnages nous sont rendus tellement attachants que l’empathie ne peut que survenir.
Le roman dénonce également le climat délétère qui empoisonne l’économie, la politique et jusqu’à la vie quotidienne des citoyens mexicains. Pays de la corruption ultime, où les cartels s’avèrent plus puissants et plus influents que le gouvernement, le Mexique sort égratigné de l’exercice. Cette vision, dont on accepte volontiers la véracité, nous fait prendre conscience avec horreur des conditions de vie problématiques, au XXI° siècle et dans un pays relativement bien développé, d’une population qui se sent volontiers prise en étau, sous un joug incertain mais cependant palpable.
Une écrivaine impliquée
Citoyenne américaine, Jeanine Cummins a épousé un exilé mexicain. Elle a connu plusieurs actes d’ostracisme et de violence ethnique. Elle s’intéresse depuis toujours aux conditions des migrants. Grâce à son roman, en s’attachant aux victimes d’un système institutionnalisé, Cummins nous introduit dans l’intimité de quidams « qui traversent des souffrances inconcevables et qui réussissent à surmonter d’extraordinaires traumatismes ».
La politique étrangère des Etats-Unis envers le Mexique – avec, en exergue, la construction inachevée du mur de Donald Trump pour endiguer l’émigration des Wet Backs (les « dos mouillés », en référence aux émigrés mexicains qui pénètrent aux Etats-Unis en traversant le Rio Grande) – offre une résonance supplémentaire à ce récit, une dimension dramatique d’où la compassion émerge naturellement.
Mention toute spéciale pour la lectrice, Mélissa Windall, dont la voix douce accompagne, comme un contrepoint apaisant, l’expression de turpitudes diverses, signatures emblématiques de ce calvaire contemporain.