Dard, Frédéric ; édition présentée et annotée par Alexandre Clément
Policier & Thriller
Paris : Fleuve éditions, 2021, 584 pages, 24,90 €
🙂 🙂 🙂 Poilade intégrale
« Dard » Devil
Je ne vais pas vous faire l’injure de m’étendre longuement sur Frédéric Dard. Car il est tout simplement l’écrivain français populaire par excellence. Pour la plupart d’entre nous, c’est sous le pseudonyme de San-Antonio qu’on le connaît. Il a fait les belles années et les choux gras des éditions Fleuve Noir avec ses enquêtes et aventures policières, publiées quatre fois par an, menées par son célèbre Commissaire. 175 volumes au total, souvent réédités, ou connaissant l’honneur d’éditions intégrales (dont une, sous couverture rouge matelassée, trônait dans la bibliothèque de mon père!).
Mais bien avant de se fondre dans les traits et les comportements volontiers misogynes de son personnage fétiche, Frédéric Dard avait taquiné la machine à écrire de longues années, notamment par son métier de journaliste. Un couple d’années avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale, Dard commence à produire une série impressionnante de nouvelles, destinés à paraître dans de multiples revues de l’époque. Cette nécessité alimentaire va lui permettre d’apprendre son métier de « raconteur d’histoire » en diversifiant les thèmes, les genres, les tons et en créant une galerie de personnages qui marquent inévitablement les mémoires.
Une pépinière de talents à lui seul
Ces quelques deux cents nouvelles répertoriées sont la partie immergée du formidable talent de Frédéric Dard. Il serait dommage de passer à côté de ce florilège d’émotions, d’anecdotes savoureuses, de pépites pétillantes, acerbes, accusatrices pour la politique ambiante. Certaines portent en elles les germes de romans ultérieurs, d’autres sont autant de témoignages de la capacité de renouvellement presqu’affolante de l’auteur.
L’ouvrage réalisé par Alexandre Clément, faisant suite aux recueils « Histoires déconcertantes » (fleuve noir, 1977) et « En voilà des histoires » (compilées par Jean-Baptiste Baronian ; Fleuve noir, 1992) ne propose pas l’exhaustivité des textes écrits par le « jeune » Frédéric Dard. Mais le volume résonne comme un hommage ultime et révérencieux au prestigieux écrivain. 88 textes, de la chronique judiciaire au récit teinté de fantastique, en passant par l’histoire d’amour, les souvenirs d’enfance, les parodies ou imitations stylistiques, n’hésitant pas à livrer, ainsi que le remarquait Robert Hossein, « ses jardins secrets, très beaux, très rares ».
Au travers des récits de Frédéric Dard, nous pouvons également observer l’art de la construction narrative qui le consumait littéralement, et surtout, cette faculté de faire entrer le lecteur directement dans l’histoire (in media res). En quelques phrases, en quelques mots, en quelques dialogues frontaux, le cadre est placé avec un minimum de moyens mais un maximum d’efficacité et de vraisemblance. Commencer une nouvelle de Dard c’est être assuré de la finir et d’en redemander, encore et toujours, avec la certitude de pouvoir découvrir d’autres facettes, d’autres sources d’inspiration, d’autres moyens d’expressions fictionnels.
Un véritable édifice
C’est précisément l’effet qu’imprime ce volume à son lecteur : un appétit qui se fait vite insatiable ! La gouaille, la provocation gratuite, l’expression d’un amour-haine pour la gent féminine, les accusations à peine voilées, la légèreté des propos (ou, au contraire, leur profondeur insoupçonnée) se révèlent des catalyseurs addictifs.
Le travail scientifique d’Alexandre Clément se révèle admirable. Après chaque nouvelle, il prend soin de la cadrer dans l’époque et dans ses sources narratives (à tel point que certains commentaires peuvent servir de résumé léché à l’histoire elle-même), démontrant par là les liens indissociables qui unissent un auteur à sa production littéraire.
L’insertion de seize pages d’illustrations présentant des fac-similés de nouvelles originales parues dans les journaux rehausse encore la qualité du design de l’ouvrage.
Même si je suis un admirateur de Frédéric Dard, que je connais comme tout un chacun par les enquêtes de San-Antonio et par quelques romans des dernières heures (l’auteur a disparu en juin 2020), je peux déclarer avec une sincérité non feinte, que cet ouvrage se doit d’être acquis par tout fan qui se respecte.
Il apparaît même comme un des livres les plus importants de cette année 2021.
C’est mon avis et c’est avec joie et reconnaissance que je le partage.