Paris : Gallimard, 2021, 160 pages, 15 € (Série Noire)
🙂 Récit à quatre mains par des maîtres du genre
Pouy a imaginé l’histoire d’un père qui élève seul sa fille de 12 ans, petite sœur de la Zazie de Queneau. La mère « elle s’est barrée pour voir le monde avant de devenir une vieille chaussette ». C’est en tout cas ce que raconte Papinou à sa petite Clotilde, qui le raconte à ses copines de classe. Pendant leurs vacances en Bretagne, Cloclo et son père se trouvent embarqués dans une manifestation qui dégénère et la fillette est gravement blessée au visage par un tir de flashball… Villard quant à lui, s’est attelé à l’histoire de la mère, Véro. Les raisons de son départ, sa vie loin de sa famille mais aussi loin des rives du Gange ou des plages du Golfe d’Arabie où sa fille la croit… Dans un style plus rigoureux et précis que celui de son comparse, qui s’amuse du flot incessant de pensées et de paroles de l’adolescente ou des questionnements sans réponse du père, Villard explore la psychologie d’une femme qui a tout quitté pour se trouver, pour ne pas se laisser dévorer par sa vie. Ensemble, ils racontent une histoire faites de mensonges. (présentation de l’éditeur)
Vieux fourneaux
Jean-Bernard Pouy et Marc Villard ont chacun près de 40 années de carrière dans la célébrissime « Série noire » des éditions Gallimard. Même s’ils sont loin de se cantonner au genre policier, les deux vénérables auteurs restent dans les mémoires comme deux figures majeures de la vague du néo-polar. Ce renouveau du genre, apparu en France à la fin des années 1970 et au début des années 1980, ajoutait au décor urbain du polar une dimension de critique sociale ancrée à gauche. Un héritage que l’on retrouve dans ce La Mère noire écrit à quatre mains.
Un roman en deux parties
Pouy entame la partie avec le récit des tribulations d’une jeune pré-ado au caractère bien affirmé et à l’intelligence aiguisée et de son père, artiste reconnu mais un peu paumé dans une vie qui semble lui échapper depuis que sa femme a quitté le cocon familial. Quant à Marc Villard il reprend à son compte l’histoire de cette mère disparue et vient éclairer les raisons de son départ. Un roman en deux parties bien distinctes, au ton, au style et au contenu sans finalement grands liens si ce n’est, celui, familial, qui justifie et conforte le projet (et celui, peut-être, oulipien que les deux auteurs se sont imposés). Car sans ce lien, on aurait presque affaire à deux nouvelles indépendantes qui se suffisent à elles-mêmes.
Faux raccord ?
D’un côté, le style plein de dérision et d’humour de Pouy fait particulièrement mouche. Il arrive, en quelques pages, à esquisser des personnages particulièrement attachants dans une histoire drolatique aux accents de rail trip déconnant, mêlant, avec une vraie subtilité, gravité et dérision. Mention spéciale à la jeune Clotilde qui, certes précoce, est la preuve que la jeunesse est avant tout dans la tête, tant Pouy réussit son mélange d’effronterie pré-adolescente et de fragilité enfantine. Certainement la plus belle réussite de cette Mère noire. Un réussite qui dessert d’ailleurs un peu la seconde partie du roman. Le récit de Villard est plus posé, plus classique. Il rattache certes l’ensemble au genre du polar et justifie sa présence dans la « Série noire », mais on peut s’interroger sur l’intérêt réel d’explorer l’histoire de cette figure maternelle dont l’absence suffisait au propos de la première partie. En résulte une seconde partie non dénuée de charme mais plus sombre, plus grave qui détonne un peu et offre à l’ensemble une conclusion douce-amer aux accents fatalistes. Les deux compères n’ont, de toute évidence, pas renié leur héritage.
Plaisante lecture
Si l’accord des deux parties n’est pas totalement convaincant, la lecture, courte et percutante, reste tout à fait plaisante, principalement grâce à une première partie particulièrement réussie. Roman vite lu, peut-être vite oublié, mais en tout cas très agréable. Que demander de plus à un roman de gare ?