Mola, Carmen ; roman traduit de l’espagnol par Anne Proenza
Policier & Thriller
Arles : Actes sud, 2024, 343 pages, 22.90 € (Actes noirs)

🙂 🙂 🙂 Dans le cochon, tout n'est pas bon

Mystère éventé

Avant octobre 2021, le nom de Carmen Mola était, selon l’éditeur, le pseudonyme d’une écrivaine née à Madrid, professeure d’une quarantaine d’années et mère de trois enfants qui écrivait des thrillers policiers pendant son temps libre. Mais, alors que « son » livre La Bestia (Babel Noir) recevait le Premio Planeta de Novela 2021 pour un roman inédit, il a été révélé lors de la cérémonie de remise des prix que le nom était le pseudo d’un groupe de trois hommes, des scénaristes de la télévision espagnole :  Jorge Díaz, Agustín Martínez et Antonio Mercero qui avaient décidé en 2017 d’écrire en équipe. Je vous passe les réactions, parfois exagérées, d’une certaine presse confondant marketing astucieux et manque de scrupules pour de fausses interviews et photos destinées à bétonner le mystère.

Le point de vue des éditeurs

« Après avoir fêté le Nouvel An chinois, qui ouvre l’année du Cochon, Chesca Olmo, nouvelle coordinatrice de la BAC madrilène, disparaît dans des circonstances inquiétantes. À son réveil d’un sommeil comateux, dans un appartement qu’elle ne connaît pas, trois hommes gravitent autour de son lit, qui attendent de prendre part au festin. L’ex-inspectrice Elena Blanco, celle-là même qui s’était illustrée dans l’élucidation de l’affaire de La fiancée gitane, reprend du service au sein de la brigade qu’elle a longtemps dirigée. L’enquête les conduit en périphérie de la capitale dans une ferme sordide qui recèle les secrets inavouables d’une famille dangereusement dysfonctionnelle ».

Macabre et crasseux

S’il y a l’enquête proprement dite, il y a un fil rouge secondaire très intelligemment intégré à la trame principale. Il décrit le monde des élevages porcins en Espagne qui, comme partout ailleurs, recèle des dérives telles que la corruption, les délits financiers, le contournement des normes, le tout pouvant aller jusqu’à des comportements maffieux signifiant intimidations et violences. Ici, ces personnages périphériques (ou non), sont peu reluisants, abjects. C’est dans ce milieu hostile que les enquêteurs de la BAC (unité d’élite de la police espagnole, la Brigade d’Analyse de Cas) vont péniblement suivre les indices, parfois incompréhensibles, leur permettant d’avancer. Et puisque le focus est aussi mis sur les interactions des membres de l’équipe ainsi que sur leur état psychologique à chacun, le récit gagne en densité. Ajoutez le fait que l’enquête est en mode « urgence absolue », ce livre se révèle être un redoutable page-turner. Mais ! Plonger dans cet univers, c’est faire face à une ambiance aussi poisseuse que malsaine. Au fur et à mesure que leurs investigations avanceront, les enquêteurs iront de l’interrogation à la sidération. Le collectif Carmen Mola est follement inspiré. Assurément, ces six mains savent concevoir des histoires redoutables d’efficacité, retorses autant que surprenantes à souhait. Le tout dans un style non pétaradant, parfois épuré quand elles choisissent d’éviter le voyeurisme excessif, précis quant au choix des mots. Les décors, ambiances et dialogues sont du même tonneau et les profils psychologiques crédibles. C’est de l’excellente mécanique.

Précision importante

Il est crucial de savoir que ce volume est en fait le troisième d’une série. Bien qu’il puisse être lu indépendamment, ce que j’ai d’abord fait puisque l’auteur m’était inconnu, je pense qu’il faut lire les deux premiers tomes pour comprendre beaucoup de choses. En effet, il y a une continuité, pareille en cela à ce que font beaucoup d’auteurs de thrillers/policiers, je pense ici à des auteurs nordiques haut de gamme comme Lars Kepler, Yrsa Sigurdardottir, Jo Nesbo, Henning Mankell, …. C’est-à-dire le suivi d’épisode en épisode de l’évolution d’un ensemble de personnes, souvent un département policier et son entourage. C’est ce qui m’a fait lire à rebours La fiancée gitane et Le réseau pourpre, les deux premiers volets de cette trilogie (tous deux disponibles en Babel Noir (poche)). Trois histoires différentes, donc, les deux premières étant liées entre elles par un thème commun sous-jacent et la troisième, L’année du cochon, par l’équipe de la BAC. Toutes sont d’égale qualité et font que les trois écrivains présidant à leur élaboration se hissent d’emblée parmi les meilleurs. Et une bonne nouvelle pour terminer : un quatrième tome de cette série a déjà été publié en 2022 en Espagne, Las Madres. Espérons qu’une traduction française verra le jour dans un avenir pas trop éloigné …
Alain Quaniers

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