Paris : Gallimard, 2021, 198 pages, 18.50 € (La Noire)
🙂 🙂 Bambi part en chasse
Sugar Baby Love
Le phénomène des Sugar babies est aujourd’hui bien connu : de jeunes filles acceptent d’accompagner des messieurs relativement âgés à des soirées diverses, de jouer l’ambiguïté sur les relations qu’ils ont nouées. Histoire d’épater la galerie, de ne pas permettre le doute sur le pouvoir de séduction (de l’un et de l’autre). Au passage, les demoiselles récoltent un peu d’argent pour leurs prestations.
Mais, l’homme étant ce qu’il est, il n’est pas rare que le rendez-vous soit biaisé, c’est une arnaque, un guet-apens pour entraîner sa victime dans un jeu de faveurs sexuelles. On n’est alors pas loin de la prostitution, les néons et les piaules glauques en moins.
Bambi, jeune fille de 16 ans, vit une situation relativement défavorisée. En compagnie de quelques amies d’infortune, elle a choisi de passer à l’attaque, de traquer le pervers et de le dépouiller, tout en s’arrangeant pour collecter des preuves qui, si elles étaient exposées à qui de droit, ne manqueraient pas de ruiner en plus toute vie sociale, professionnelle et familiale.
Le piège fonctionne à merveille, l’argent s’avère facile et les bénéfices indirects nombreux (les vols récurrents dans les hôtels, les repas pantagruéliques,…).
Oui mais, car évidemment un événement perturbateur va venir faire grincer les rouages : une de ses copines, volontiers bavarde, est arrêtée pour recel d’objets de fauche.
Sinistrose totale
Elle n’a pas grand-chose pour l’aider à voir la vie en rose, la petite Bambi : entre l’école qu’elle déteste, une mère dépressive et alcoolique et une flopée de beaux-pères successifs qui lui ont rarement voulu du bien, la jeune fille pourrait en faire valoir des circonstances atténuantes. Mais, rien à faire, pourrie jusqu’à la moelle, la voilà qui se plaît à renouer avec la violence, son Sig Sauer et les coups fourrés. Un dernier coup, elle le promet, qui va rapporter bonbon.
Madame Caroline
L’auteur en est déjà à son cinquième roman ! De nationalité belge, elle a été élevée en néerlandais avant de suivre ses études dans les deux langues nationales belges.
Pour ce « Manger Bambi », l’auteure, par souci de cohérence avec le milieu décrit, a choisi le parler des jeunes de banlieues pour rendre compte de l’état d’esprit et de la personnalité de ses personnages. Verlan, anglicismes, tournures hybrides, interjections urbaines (« Wesh », « Tchuss » et autres « biatch ») émaillent les pages, y imprimant un rythme cassé mais jamais cassant.
La lecture se fait empressée, encouragée par des événements toujours bien amenés et interpellants. Roman noir de noir, on y côtoie la perversité sous ses natures diverses, le désespoir aussi, tout comme l’inéluctabilité d’un destin qui apparaît immuable.
Illustration d’un parcours de femme dans une société machiste et fermée mais aussi formidable peinture moderne de la déliquescence sociale des jeunes, « Manger Bambi » résonne comme un appel de détresse et agit, tout au long de ses 198 courtes pages, comme un courant électrique qui secoue, heurte et sensibilise.