Paris : 10/18, 2020, 189 pages, 6.60 € (Grands détectives)
🙂 🙂 Explorations inédites d'un classique japonais!
Jusqu’où la passion peut-elle nous emporter ? Ce recueil original rassemble six nouvelles inédites en français d’Edogawa Ranpo. Publiées sur plus de trente ans, entre 1926 et 1955, elles reflètent ses thèmes fétiches de la passion obsessionnelle et d’une fascination amoureuse aux accents morbides, parcourues d’un frisson d’étrangeté caractéristique de l’œuvre de l’auteur.
Contes noirs parfois fantastiques, dans la lignée d’Henry James et d’Edgar Poe, ces récits hypnotiques explorant les figures de la poupée (« Un amour inhumain ») ou de la femme fantôme (« L’abri antiaérien ») frappent par leur profonde modernité. La passion amoureuse en particulier s’y dévoile dans tout son absolu, éclairant les recoins les plus sombres de la nature humaine. (présentation de l’éditeur)
Grand maître des genres
Figure majeure de la littérature policière, Edogawa Ranpo est considéré comme l’un des fondateurs du polar japonais. Grand lecteur de littérature populaire et un amateur éclairé de quelques-unes de ses figures incontournables, Maurice Leblanc, Arthur Conan Doyle ou encore Edgar Allan Poe (qui lui inspira d’ailleurs son pseudonyme, imaginé comme une transcription homophonique du nom du célèbre romancier américain), l’auteur est à la tête d’une œuvre foisonnante. Pour autant, unebonne partie des dizaines romans et de centaines de nouvelles qu’il a pu écrire restent inédites en français. La proposition des éditions Wombat (ici dans une version de poche chez 10/18) de nous offrir une sélection de 6 nouvelles inédites est dès lors une merveilleuse occasion de plonger dans l’univers si particulier, mêlant imaginaire japonais et culture littéraire occidentale, du maître nippon.
Polar de l’étrange
On connaissait l’auteur pour ces nombreux romans policiers. Actif durant la première moitié du vingtième siècle, il a souvent exploré la veine, relativement classique, du récit à énigme. C’est un autre aspect de son œuvre que nous découvrons ici. Avec ces six nouvelles, d’inégales longueurs et, exercice oblige, d’un intérêt variable, Edogawa Ranpo prouve son talent de nouvelliste. Exercice plus difficile qu’il n’y parait, la rédaction d’une nouvelle demande une efficacité optimale pour installer une intrigue et une atmosphère en quelques pages. En cela, Ranpo fait partie des plus grands. Bien que les intrigues ne s’éloignent jamais vraiment du genre policier, l‘ambiance générale renvoie plutôt aux détectives de l’étrange qu’aux salons feutrés d’un jeu de Cluedo. L’amateur de frissons ne manquera pas de tomber sous le charme des nouvelles « Un amour inhumain » et ses poupées japonaises hyperréalistes aussi fascinantes qu’effrayantes, ou « Les crimes étranges du docteur Méra » et son apparition glaçante dans un Tokyo dépeint avec une froideur de gorges montagneuses.
Alors, on joue ?
L’autre force de ces nouvelles vient de la manière dont Edogawa Ranpo joue avec les codes du policier et s’amuse à s’adresser directement au lecteur, à commenter l’histoire qu’il est en train de raconter ou même à se mettre en scène comme écrivain avide de nouvelles histoires propres à nourrir son écriture. Le procédé, ingénieux, n’est évidemment pas inédit pour un lecteur du XXIe siècle mais offre une belle touche de modernité à des nouvelles qui sont parues, pour certaines d’entre-elles, il y a près d’un siècle.
Noirceur de l’âme
Mais ce qui fait certainement la grande force de ce recueil vient de la manière dont Ranpo met au jour les passions humaines et leur absolu dans des accents tragiques. Car nous sommes bien face à des récits noirs mettant en scène, avec une certaine fascination pour le morbide, les aspects peu reluisants de l’âme humaine. Les liens, bien souvent étroits, entre mort et désir sont ainsi au cœur de plus d’une nouvelle (« L’apparition d’Osei » ; « L’abri antiaérien ») et marquent l’ensemble du sceau du fantastique.
Excellent recueil
Un amour inhumain a tout pour plaire aux amateurs de récits noirs et de nouvelles à l’atmosphère étrange. Riche d’une belle diversité, allant des récits noirs plus classiques mais d’une redoutable efficacité (« Un amour inhumain ») aux nouvelles plus expérimentales et oniriques (« Les canaux de Mars »), le recueil propose, avec une vraie cohérence, un panorama de ce que l’auteur japonais peut faire de mieux. Son écriture imagée et sa remarquable rigueur dans la structure narrative prouve, s’il le fallait, que Edogawa Ranpo fait partie des grandes figures de la littérature populaire. Ce serait dommage de bouder son plaisir .