1991

Thilliez, Franck
Policier & Thriller
Paris : Fleuve Noir, 2021, 499 pages, 22.90 €

🙂 🙂 Passé composé

Dans le rétro

Franck Thilliez fait vivre son inspecteur, Sharko, depuis plus de vingt ans. Si son parcours professionnel et sa situation personnelle ont pu évoluer au fil des romans, on ne connaissait encore rien de son passé, de ses premiers pas dans sa fonction d’enquêteur. Beaucoup de lecteurs ont questionné Thilliez sur cette partie de la vie de son héros et « 1991 » est l’occasion de lever le voile sur la question.

Morbid City

On peut révéler que, dès le début de sa carrière, au 36 Quai des Orfèvres, le morbide, l’abject, la violence et le sang ont collé aux basques de Sharko. Ces caractéristiques vont ponctuer le récit développé dans « 1991 », tout comme ces digressions, ces fausses pistes et ces enquêtes parallèles qui font la marque de fabrique de Thilliez.
Bien qu’affecté sur un dossier vieux de quelques années (la disparition et le meurtre sanglant de plusieurs femmes parisiennes), Sharko va vouloir absolument venir en aide à un pauvre homme qui vient, un soir, chercher secours au Quai des Orfèvres. Il a reçu la photographie d’une femme liée sur un lit, la tête dans un sac. Le courrier mentionne également l’adresse du lieu supposé où s’est déroulé cette scène atroce. En effet, une fois sur les lieux, les policiers découvrent le cadavre d’une femme, les organes génitaux brûlés. Des dizaines de photos d’enfants nus sont accrochées sur un mur et, visiblement, il en manque une. La victime serait la fille du Dr Escremieu, un pédiatre urologue à la retraite. Serait-il visé par un tueur et celui-ci avait-il cherché à l’atteindre en s’en prenant à sa fille ? Alors qu’il s’avère que la victime dans l’appartement n’est pas Delphine Escremieu et que celle-ci est retrouvée, hagarde, enfermée dans une caisse, dans une ferme abandonnée, son père se suicide au commissariat avec un tube de cyanure caché dans le col  de sa chemise. L’identité de la femme morte dans l’appartement de Delphine Escremieu est découverte : il s’agit d’Hélène Lemaire, une standardiste chez un assureur. Quel peut être le lien entre ces deux femmes ?
Les policiers découvrent que l’état d’hébétude profond de Delphine est causé par la drogue TTX, une substance utilisée dans le Vaudou à Haïti, secrétée par quelques animaux exotiques. A Paris, un seul fabricant est connu de la police : un certain Scotti. Celui-ci ne tarde pas non plus à décéder, après avoir mis Sharko sur la piste d’une sorcière, une Bokor qui lui avait récemment acheté des grenouilles toxiques. Et qui semble à présent être sur la piste de Sharko.
Les inspecteurs se rendent compte que le tueur qu’ils recherchent aime laisser des indices pour les mener dans un jeu de piste méticuleux (c’est d’ailleurs le nom qu’ils lui donnent) : les photos d’enfants nus, le livre « Les Fleurs du Mal », les mots Pagode et Houdini ainsi que ce système de serrure sophistiqué posé sur les portes des victimes. Le meurtrier serait-il un serrurier ?

Sexe et imbroglio

Il serait nécessaire de prendre des notes pour prendre la mesure de toutes les ficelles, idées et directions biaisées dans lesquelles Thilliez semble adorer emmener son lecteur. Comme ses prédécesseurs, « 1991 » apparaît dense et tortueux, diaboliquement construit. Rien ne laisse présager, sur la base des données des trois cents premières pages, la résolution de cet imbroglio qui tient en haleine d’un bout à l’autre. Cette résolution, cette explication définitive surprend par sa perversité, et par cette peinture d’hommes et de femmes à l’identité sexuelle ambiguë, prêts à tout pour assouvir une vengeance somme toute légitime.

Nostalgie

Le côté véritablement original de ce roman, c’est l’époque à laquelle il se passe : il y a trente ans, il n’y avait pas de PC performants, pas d’internet, pas de Gsm et cela donne à l’enquête une saveur surannée du meilleur effet. La description du milieu policier – où on adore jouer les matadors et se tirer dans les pattes – l’horreur à laquelle les inspecteurs sont soumis (il y a, ici, le compte rendu d’une autopsie de A à Z) et la psychologie du jeune Sharko qui œuvre encore à la construction de son caractère déterminé et froidement lucide, achèvent de dresser un tableau crédible mais d’une noirceur absolue.
« 1991 », parce qu’il expose les débuts de l’inspecteur Sharko, est le titre idéal pour qui n’aurait jamais goûté à littérature de Thilliez mais il est aussi un des volumes les plus accessibles – on est loin de la complexité du « Manuscrit inachevé » ou de « Il était deux fois » – .
Elaboré, pertinent de bout en bout, addictif, le nouveau Thilliez porte la marque de son maître : une efficacité redoutable.
Eric Albert

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