Brasier noir

Iles, Greg; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Aurélie Tronchet
Policier & Thriller
Actes Sud, 2018, 1051 pages, 28 €

🙂 🙂 🙂 City of violence

A Natchez, une petite ville du Mississipi, il y a deux Cage : Penn, le maire, et Tom, le médecin. Tous deux sont des piliers de la communauté, mais sans doute Tom est-il le plus aimé, le plus respecté. Sa droiture, son dévouement et sa force de travail lui ont donné une aura d’homme de bien, discret et écouté de tous, Noirs comme Blancs. Ancien avocat, ancien procureur et écrivain à ses heures, Penn Cage n’a pas échappé à cette aura paternelle : pour lui, Tom a toujours été un modèle, un exemple à suivre. Aussi, le jour où Shad Johnson, le procureur du district et ancien concurrent malheureux à la mairie, lui apprend que son père va être accusé de meurtre, Penn croit-il d’abord à une mauvaise blague. L’inimité entre les deux hommes est puissante mais Penn se rend néanmoins à l’évidence : les circonstances et les témoignages incriminent à priori Tom Cage du meurtre de Viola Turner, son ancienne infirmière. Plus têtu qu’une mule, le toubib refuse d’évoquer l’affaire avec son fils, mettant en avant son respect du secret professionnel : depuis qu’elle était rentrée au pays après plus de 30 ans d’exil à Chicago, Viola, atteinte d’un cancer incurable, était devenue sa patiente. Tom n’aidera donc en rien son fils à le défendre, mais il ne fera rien non plus pour l’en empêcher.

Greg Iles est peu connu de ce côté de l’Atlantique : il a pourtant une série de très honnêtes polars à son actif, dont certains sont encore disponibles aux Presses de la Cité ou chez Points. Il n’est pas anodin de le signaler puisque, même si « Brasier Noir » peut tout à fait se lire indépendamment des autres titres, certains des personnages qu’il met en scène sont déjà apparus dans ces œuvres plus anciennes -de quoi donner envie de s’y plonger comme vous allez le découvrir.

Les années ’60 sont le terreau dans lequel ce puissant roman, premier d’une trilogie prometteuse, plonge ses racines. Et dans ces années-là, le point focal choisi par Greg Iles, le triste phénomène sur lequel il s’appuie n’est autre que le racisme. Fort logiquement, ce thème en entraine d’autres : la ségrégation et les droits civiques, comme dans le tout récent « 4321 » de Paul Auster, viennent ainsi consolider le cadre. Les figures historiques sont convoquées (JFK, MLK, Bobby Kennedy, Hoover), le parrain de la mafia Carlos Marcello et le KKK sont régulièrement cités. On se croirait parfois dans un roman d’Ellroy, la clarté et la fluidité en plus (sorry James, je t’aime beaucoup mais il y a des moments où tu nous perds). Pas de pédagogie ici : juste une intrigue bétonnée, passionnante et d’une clarté remarquable pour illustrer, ou plutôt dénoncer, l’une des plus basses bassesses humaines. Au fil d’un suspense courant sur plus de mille pages, Greg Iles révèle ses qualités de conteur hors pair mais également d’observateur nuancé et engagé de l’histoire de son pays. L’intrigue renferme ainsi de magnifiques et déchirants passages sur les amours entre un homme blanc et une femme noire, ainsi que de très explicites et convaincantes considérations sur le poids de la religion et sur les ravages psychologiques qu’elle exerce sur la vie sexuelle de ses adeptes. Les personnages, nombreux et pourtant parfaitement identifiables, se révèlent d’une crédibilité à toute épreuve et c’est peu de dire que l’on tremble pour la famille Cage et ses amis alors que l’on souhaiterait voir réduits en bouillie les tenants de la force obscure. Cette dernière n’est pas constituée que d’une bande de fachos purs et durs :  mouvante, elle se déploie en couches et sous-couches. Parmi celles-ci, les plus élevées, policées et proprettes engrangent les bénéfices, vivent dans un luxe qui leur permet toutes les excentricités. Les couches inférieures se coltinent les basses besognes, mais elles le font souvent avec plaisir, la violence et le sadisme sont leur salaire. Face à eux, Penn Cage et son père n’ont d’abord que la volonté de s’en sortir. L’envie de remuer toute la boue et de rendre justice pour des crimes vieux de plus de quarante ans viendra ensuite. L’amour et l’amitié seront leurs seules armes : l’amour de leur famille et l’amitié de plusieurs durs à cuire -hommes et femmes- prêts à risquer leurs vies à leurs côtés. Roman-fleuve, « Brasier noir » charrie avec une vélocité communicative sa multitude de thèmes, d’intrigues et de personnages entraînant avec la même force son lecteur de rapides en méandres parfaitement envoûtants. Puissent les tomes 2 et 3 ne pas trop tarder.

Nicolas Fanuel

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