Connerland

Fernandez, Laura; traduit de l’espagnol par Sébastien Rutès
Science-fiction
Paris : Actes Sud, 2019, 480 pages, 23.50 €

🙁 Épuisant voyage en Absurdie

Voss Van Conner est un écrivain de science-fiction prolifique mais peu reconnu. Obsédé par ses cheveux, qu’il trouve magnifiques, il meurt brutalement en s’électrocutant avec son sèche-cheveux. Lorsqu’il se réveille dans l’immense salle d’attente de l’au-delà, il refuse d’admettre qu’il est mort mais est persuadé, auteur de science-fiction oblige, qu’il vient d’être kidnappé par des extraterrestres. Renvoyé dans le monde des vivants, il réapparaît sous les yeux médusés d’une hôtesse de l’air qui semble être la seule à pouvoir le voir. Mais la mort de Voss Van Conner ne va pas seulement bouleverser la vie de cette jeune femme. Son éditeur veut profiter de l’aubaine pour revendre les droits du défunt et s’offrir le yacht dont il a toujours rêvé. Son premier fan, qui possède plus de 200 exemplaires d’un seul et même roman de son idole, endosse tout à coup le rôle de  potentiel successeur. Son épouse, qui rêvait de le quitter et ne pourra donc jamais le faire, trouve réconfort dans les puissants bras de l’employé des pompes funèbres chargé de l’inhumation de son mari…
Ce résumé n’est qu’une faible esquisse de l’ensemble des péripéties qui constituent ce roman hors normes et il faudra au lecteur une importante dose de patience pour arriver au bout de cette immense digression que constitue le Connerland de Laura Fernández.

Déception

Il est toujours réjouissant de voir apparaître de nouvelles collections consacrées aux littératures de l’imaginaire. On pouvait d’autant plus se réjouir de la création d ‘Exofictions qu’elle émanait de la très prestigieuse maison d’édition Actes Sud. Après 6 ans d’existence, le bilan nous parait hélas plutôt mitigé. Si elle contient bien heureusement quelques pépites, comme la saga de space opera décomplexée The Expanse de S. A. Corey ou la réjouissante trilogie d’horreu rarachnéenne d’Ezekiel Boone, elle multiplie aussi les romans anecdotiques (la trilogie Silo qui, partie d’une bonne idée, s’essouffle rapidement), décevants (le 2312 de Kim Stanley Robinson) voire franchement rébarbatifs (l’épuisant Ada du japonais Mazaki Yamada). Malheureusement,Connerland s’inscrit parfaitement dans cette dernière catégorie.

Difficile dosage de l’absurde

Le roman se veut un hommage burlesque aux classiques de la science-fiction de l’après-guerre et plus particulièrement aux travail de Kurt Vonnegut et Philip K. Dick. Si l’intention est bonne et les premières pages plutôt réjouissantes, le plaisir fait rapidement place à la lassitude voir l’agacement tant la narration et l’univers paraissent décousus et incompréhensibles. On trouve bien quelques éléments typiques de la science-fiction, comme les voyages dans le temps et l’espace ou les rencontres extraterrestres, mais ils se retrouvent totalement noyés dans d’infinis détours par des sujets tout à fait inattendus (comme les shampoings ou les boites de nourriture pour poisson) et des péripéties amoureuses sorties tout droit d’un médiocre soap opera. L’auteur semble d’ailleurs plus intéressé par les amourettes ou coucheries de certains de ses personnages que par les éléments purement science-fictionnels et le fil rouge, pourtant déjà ténu, de son intrigue.
L’humour absurde peut être délicieux lorsqu’il est maîtrisé (et l’on pense évidemment au travail de l’immense Pratchett) mais il devient rapidement indigeste lorsqu’il s’étend sur plus de 400 pages et repose sur des gimmicks répétés ad nauseam. Les quiproquos émanant de la conversation en public de l’hôtesse de l’air avec l’auteur mort qu’elle seule peut voir et entendre représentent ainsi un ressort comique systématique lorsque le roman se centre sur ces deux personnages.

Une narration chaotique

Les digressions et autres moments abscons sont de plus noyés dans une narration chaotique faite de courts paragraphes n’ayant bien souvent aucun lien entre eux et mettant en scène plus d’une centaine de personnages (d’inégale importance tout de même) qui, cerise sur la gâteau, portent des noms improbables, sont parfois appelés par leur surnom ou changent même de patronyme au cours du récit. L’auteur a eu tout de même l’amabilité d’en fournir une liste en fin de volume auquel le lecteur se référera régulièrement s’il ne veut pas définitivement se perdre dans cet inextricable labyrinthe. Si l’auteur multiplie pourtant les rappels et les références aux événements qui précèdent, cela ne suffit pas et l’on se retrouve vite lassé face à un récit dont on peine à comprendre où il veut nous mener.
Pourtant, le travail d’écriture de l’auteure espagnole est pharaonique. On ne peut que reconnaître son courage, et un indéniable talent, pour avoir mené un tel projet à son terme. Malheureusement, le livre est victime de ses excès et ne ravira que les amateurs d’humour absurde peu attachés au sens global d’un récit et prêts à admettre qu’il ne faut pas essayer de tout comprendre dans ce Connerland. Le titre, directement repris de l’édition originale, résonne comme un avertissement pour le lecteur francophone. Indéniablement, il est conseillé de l’entendre.        
Nicolas Stetenfeld

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