Conte de fées

King, Stephen ; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch
Fantastique
Paris : Albin Michel, 2023, 728 pages, 24.90 €

🙁 King mérite la baguette (magique)

Il y a d’autres mondes

On le sait, c’est un des mantras de l’œuvre de King. Des « Langoliers » au « Talisman des territoires » en passant par « Les yeux du dragon », « 22.11.63 » et, bien sûr, la sainte heptalogie de « La Tour sombre », l’auteur s’y entend pour créer des mondes parallèles volontiers dangereux qui, d’une façon ou d’une autre, sont interconnectés avec le nôtre, le vrai, celui de la réalité sensible.
Avec ce « Conte de fées », paru seulement huit mois après le fabuleux « Billy Summers », King emploie à nouveau l’argument de l’univers parallèle. Il nous emmène cette fois au royaume d’Empis, pour une aventure clairement portée sur la fantasy, en compagnie d’un adolescent appelé à un grand destin et de son chien, Radar.

Un début prometteur

Charlie Reade, 17 ans, orphelin de mère et fils d’un alcoolique repenti, est un lycéen moyen peu porté sur le sport, qui végète dans sa petite ville du Midwest américain. Il devient malgré lui l’aide-soignant de M. Bowditch, un vieux monsieur solitaire tombé d’une échelle. M. Bowditch est connu pour être un solitaire peu amène mais, pourtant, Charlie se prend d’amitié pour le pauvre maladroit mais surtout pour son chien, Radar (en fait une femelle).
Howard Bowditch, malgré une vie menée chichement, semble plutôt à l’aise financièrement. Ne cache-t-il pas dans sa maison un seau rempli de pépites d’or ? D’où peut venir cette manne céleste ? Et que sont ces bruits qui émanent du cabanon en ruines au fond du jardin ?
Grâce à un enregistrement que lui adresse M. Bowditch, Charlie prend connaissance d’un secret à la limite du concevable : M. Bowditch s’est rendu plusieurs fois dans un monde parallèle, auquel il accède par le cabanon. C’est de là que proviennent les cailloux d’or. Mais ce monde, dénommé Empis, permet également à ses visiteurs de bénéficier d’une cure de jouvence providentielle. Un rajeunissement dont aurait bien besoin Radar, chienne vieillissante et percluse d’arthrite. Il n’en faut pas plus à Charlie pour décider de gagner cet autre monde.
Cette exposition préliminaire qui s’étend sur quelques deux cents trente pages porte en elle toutes les caractéristiques de la patte d’un grand King : empathie pour les personnages, exposition de drames humains, description villageoise, peintures de la nature humaine…L’incursion fantastique est à la mesure de l’attente et on se dit qu’on tient entre les mains une nouvelle brique qui fera date.
Oui, mais…

De mal Empis

Une fois dans l’univers souterrain d’Empis, le récit prend tous les atours de la fantasy. Ce qui, en soi, n’est pas inintéressant, d’autant plus que King sait se démarquer de ses autres créations qu’étaient Les territoires ou le royaume de Gilead.
À Empis, une maladie donne aux habitants un teint gris ; à Empis, les visages sont biscornus et les bouches se limitent à une simple fente qu’il faut rouvrir à chaque fois pour pouvoir manger ; à Empis, deux lunes dans un ciel improbable ont commencé un rapprochement cataclysmique ; à Empis, le royaume est menacé, convoité par le sombre félon surnommé Flight Killer tandis qu’un monstre antédiluvien, caché dans le sol, menace de l’anéantir tout entier.
Déterminé à offrir à Radar un bain de jouvence (il suffit pour cela de monter sur un cadran rotatif et de le faire fonctionner en sens inverse), Charlie, aidé par quelques autochtones bienveillants, parcourt ce monde, bille en tête, sans se douter du destin compliqué qui lui échoit.
Car une rumeur enfle à Empis : Charlie ne serait-il pas le Prince promis par la prophétie, le Messie d’un autre Quand et Où qui parviendrait à restaurer la paix, l’unité et la pérennité du royaume en déliquescence ?
Bientôt, il est fait prisonnier dans une geôle infâme, et condamné à participer à une sorte de jeux du cirque mortels.
Sa seule chance de regagner son monde réside dans sa capacité à prendre le dessus sur ses ennemis – devenant un meurtrier par nécessité – et à s’échapper de cet endroit maudit. Mais c’est tomber de Charybde en Scylla car une mission autrement importante attend le jeune aventurier : empêcher le monstre des profondeurs de surgir à la surface et de dévaster tout sur son passage…

Empis-aller

Plusieurs écueils s’accrochent à ce roman fleuve, rendant la lecture de cette deuxième partie beaucoup plus problématique à tel point qu’à certains moments, l’ennui s’installe.
La progression est lente, l’identification aux personnages s’étiole au fil des pages, la tension dramatique n’est pas convaincante, les épreuves subies par les protagonistes semblent se résoudre bien trop facilement.
King avait l’intention d’exploiter les caractéristiques des contes traditionnels, empruntant çà et là à « Jack et le haricot magique », « Rumpelstilskin » ou « Gogmaggog » (folklore irlandais), mâtinant son propos de références lovecraftiennes…Mais force est de reconnaître que les liens avec ces contes ou références restent ténus, voire même s’effacent derrière une épopée bien trop sage qui se destinerait sans problèmes aux jeunes adolescents si le texte n’était pas parsemé de passages biens crus et vulgaires (du genre « dis, c’est ton C…ou ta Ch… qui pue comme ça ? »), [même si, on est bien d’accord, les jeunes d’aujourd’hui en voient et en entendent d’autres par ailleurs…]
Le fait que le roman soit écrit à la première personne (c’est Charlie qui raconte sa propre aventure) nuit aussi à la puissance narrative de l’ensemble. C’est un fait assez rare chez King de ne pas utiliser la voix omnisciente (« Après », « Sac d’os » et « Joyland » font aussi partie de ces exceptions) et, ici, cette technique apparaît rapidement exaspérante (outre le fait qu’on sait dès le départ que le héros va s’en sortir…).
Des répétitions, inutiles, éclatent comme de bulles de savon dans les yeux, les plus agaçantes se révélant dans les nombreuses références à la chaîne de télévision TCM ou dans la précision, serinée ad nauseam, que ce qui sort de la bouche de Charlie n’est pas vraiment ce qu’il veut dire (le vocabulaire empisien ne souffrant pas de certains mots, usuels, chez nous). Quant à la technique typographique qui utilise les majuscules pour rendre compte du fait qu’un des personnages est sourd et croit donc utile de crier pour se faire entendre, elle n’apporte en fait qu’encore plus de frustration.

Empis tache

Bref, tout ça pour ça…Un récit poussif, qui aurait mérité un traitement beaucoup plus rythmé et une débauche d’imagination comme le Maître de Bangor (ah oui, c’est vrai, il n’y habite plus…) savait le faire, tout en se renouvelant à chaque nouvel opus. « Conte de fées », c’est un peu une caisse de résonance, remplie de rien (ou presque) et qui me fait penser aux paroles de King dans un reportage diffusé en 1990 sur TF1 où il arguait que « lorsqu’il n’aurait plus rien à dire, il fermerait sa machine à traitement de texte et n’écrirait plus une seule ligne », tellement il redoutait l’idée de devenir un auteur radoteur obligé de produire pour faire tourner la machine à fric alimentée par ses nombreux fans. C’est pourtant la sale impression que j’ai ressentie à la fin du douloureux exercice de cette lecture.
Laissons-lui encore le bénéfice du doute : « Holly », son prochain roman, sortira dans un an à peu près et reprendra un des personnages phares de « Mr Mercedes », « Fin de ronde », l’« Outsider » ou encore « Si ça saigne ». Espérons qu’il aura alors retrouvé une inspiration digne de ses plus beaux opus.
Éric Albert

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