Gnomon : tomes 1 et 2

Harkaway, Nick ; traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Michelle Charrier
Science-fiction
Paris : Albin Michel, 2021, 487 et 474 pages, 24,90 € le volume (Imaginaire)

🙂 🙂 Je suis Gnomon

Grande-Bretagne. Futur proche.
La monarchie constitutionnelle parlementaire qu’on croyait éternelle a laissé place au Système, un mode de démocratie directe où le citoyen est fortement incité à participer et voter. La population est surveillée en permanence par le Témoin : la somme de toutes les caméras de surveillance et de tout le suivi numérique que permettent les smartphones et autres objets connectés.
Alors qu’elle est soumise à une lecture mentale, la dissidente Diana Hunter décède. Mielikki Neith, une inspectrice de Témoin, fidèle au Système, est chargée de l’enquête. Alors qu’elle devrait être en mesure d’explorer la mémoire de Hunter, Mielikki se retrouve confrontée à trois mémoires différentes : celle d’un financier grec attaqué par un requin, celle d’une alchimiste et celle d’un vieux peintre éthiopien.
Pour Neith, un incroyable voyage au cœur de la pensée humaine commence. Aussi surprenant que dangereux (présentation de l’éditeur).

Albin Michel Imaginaire

La collection « Albin Michel Imaginaire », créée il y a 3 petites années, a particulièrement gâté les amateurs de littératures de l’imaginaire. Son catalogue alterne les titres volontiers pop relevant de la pure lecture plaisir (Un océan de rouille de C. Robert Cargill), les univers plus intimistes et personnels (comme ceux de Gauthier Guillemin ou de Kameron Hurley) ou les romans plus complexes tirant vers la hard sf ([Anatèm] de Neal Stephenson). Gnomon relève assurément de cette dernière catégorie et s’inscrit comme l’un des projets les plus ambitieux de la jeune collection.
Après avoir terminé les deux volumes de cet énorme roman, difficile d’en recommander la lecture sans exprimer quelques réserves. Oui, le roman est d’une ingéniosité rare, son architecture millimétrée est particulièrement impressionnante et son écriture parfaitement maîtrisée. Néanmoins, le livre s’adresse avant tout aux lecteurs les plus persévérants.

Labyrinthique

Sans trop entrer dans les détails de l’intrigue, Gnomon s’articule autour de quatre récits a priori distincts mais dont les liens apparaissent au fil de la lecture. L’auteur se plaît à multiplier les énigmes, les temporalités et lance volontiers le lecteur sur des pistes divergentes. Celles-ci, si elles prennent sens, du moins pour la plupart, lorsque l’on détient les clés du récit, peuvent rendre l’ensemble de la lecture relativement laborieux. Le roman, de près de 1000 pages, ne se révèleen effet vraiment que dans sa toute dernière partie. Et si cette exploration approfondie des méandres de l’intrigue est tout à fait justifiée par le propos même du roman, quelques longueurs auraient certainement pu être évitées.
Néanmoins, le jeu en vaut la chandelle et comme les victoires arrachées dans la douleur sont souvent les plus jouissives, la lecture ardue, parfois même irritante, d’une partie du roman mérite à nos yeux les efforts fournis. Car Gnomon, sous ses dehors de thriller labyrinthique profondément politique (Nick Harkaway est en cela bien le fils de John le Carré) dresse un tableau à la fois glaçant et particulièrement interpellant des dérives sécuritaires et liberticides de nos sociétés modernes. Les conséquences sociales et politiques que la crise du covid a entraînées offre au roman, bien qu’écrit en 2017, une résonance toute particulière qui ne fait qu’en renforcer le propos.

Dystopie, votre majesté

Nick Harkaway marche sur les traces de ses compatriotes Orwell et Huxley. Plus que de la science-fiction, ce Gnomon est avant tout une anticipation dystopique qui parle de notre présent avec une saisissante intelligence. Il prouve, s’il le fallait, qu’il suffit parfois de pousser légèrement le curseur du réel pour révéler les failles, pourtant abyssales, à l’œuvre dans nos sociétés. D’une richesse folle, d’une profondeur insoupçonnée, Gnomon est un véritable tour de force. Si la lecture ne peut assurément être recommandée qu’aux lecteurs exigeants et prêts à s’investir réellement, leurs efforts seront largement récompensés. Plus, il ne serait même pas étonnant qu’ils envisagent une deuxième lecture. À bon entendeur…
Nicolas Stetenfeld

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