Immunité : et autres mirages futurs

Dick, Philip K. ; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Hélène Collon
Science-fiction
Paris : Gallimard, 2022, 256 pages, 8.20 € (Folio SF)

🙂 🙂 🙂 Reconstitution historique

Folio SF semble s’être lancé dans une grande opération de relance de titres de Philip K. Dick. Le présent volume a connu une première édition en 2005, mais cette réédition au contenu identique se présente sous une thématique visuelle que l’on doit à Jean Leblanc. Le résultat est percutant, indubitablement dickien, c’est une franche réussite. Notez que sont proposés ici des textes révisés par Hélène Collon. Il faut savoir que par le passé, les écrits de l’Américain n’ont pas toujours bénéficié de traductions adéquates, voire fidèles. Les deux exemples emblématiques sont la nouvelle Le Père Truqué et le roman Le Prisme du Néant, malencontreusement « arrangés » par les traducteurs. Philip K. Dick, en tant qu’auteur, est un génie absolu du genre. Sans le savoir, vous avez probablement été immergés dans son univers si particulier par le biais du cinéma : Blade Runner, Minority Report, Paycheck, Total Recall, Planète Hurlante, L’Agence, Next, Impostor, la série Le Maître du Haut-Château … sont des adaptations de ses œuvres. Et, sans les citer tous, nombre de films sont inspirés par son référentiel paranoïaque et les perversions de la réalité, Inception étant une évidence. Je pense que l’auteur américain est avant tout connu pour ses romans, parmi lesquels je peux pointer quelques chefs-d’œuvre tels Le Maître du Haut-Château, Dr Bloodmoney, Ubik, Le Dieu Venu Du Centaure, Simulacres, Les Androïdes Rêvent-ils de Moutons Electriques ou encore Le Temps Désarticulé. En fait, il y a très peu de livres mineurs dans sa bibliographie. Mais c’est oublier que l’homme est un excellent novelliste.

Service avant achat

Le présent recueil propose 11 textes courts publiés entre 1952 et 1954, ce qui correspond à ses premiers pas d’écrivain. A l’époque, il est un parfait inconnu, un parmi tant d’autres candidats cherchant, parfois vainement, à se faire publier. Mais Dick a quelque chose qui accroche, qui sort de l’ordinaire. On a beaucoup ergoté sur sa soi-disant absence de style et c’est agaçant. Il a un style, très particulier certes, mais qui fonctionne à merveille. Ses nouvelles sont ramassées et (souvent) admirablement masquées. A chaque fois que l’on croit savoir où il nous mène, un détail, une bifurcation inattendue ou une simple phrase révèlent l’ampleur de la supercherie. Mais il est aussi capable de distiller de l’humour, soit complètement loufoque (Service Avant Achat, qui fait penser à Planètes A Gogos de Pohl/Kornbluth (1953) et Reconstitution Historique) soit cynique (Le grand O). Il avait ses thèmes de prédilection, qui ne cesseront jamais de s’affiner et de devenir de plus en plus inquiétants. Dans ce recueil, les références aux robots et à l’intelligence artificielle sont proéminentes : James P. Crow, Le Grand O, Service Avant Achat, Expédition en surface, Au service du Maître sont autant de variations sur leurs dangers supposés et font écho à des questionnements d’aujourd’hui. Les théocraties sont, pour lui, une cible privilégiée. Insérées dans une boucle temporelle étourdissante, ça donne Le Crâne. S’il développe ce thème dans un décorum postapocalyptique, on obtient l’excellent texte Le Tour de Roue. En ce qui me concerne, ce recueil culmine avec Là où il y a de l’Hygiène. C’est la nouvelle la plus retorse du lot mais aussi la plus effroyable : je ne dévoilerai pas le pitch, mais sa relecture d’une période particulièrement noire de l’histoire de l’humanité est juste étourdissante, vous ne le comprenez qu’à la lecture des six dernières lignes. Dick est aussi un produit de son temps, ainsi, il n’échappe pas aux miasmes de la guerre froide dans l’hilarant Reconstitution historique. Je terminerai ce tour d’horizon en évoquant son approche des « hommes augmentés » qui préfigure la vague des superhéros bien connus : Immunité et Consultation Externe ne manqueront pas d’éveiller en vous des flashbacks de comics et de films très en vogue depuis quelques années.

Consultation externe

Ce recueil est une porte idéale sur les univers imbriqués de Philip K. Dick. Le choix des textes est judicieux car il permet de balayer les obsessions de l’auteur et d’entrevoir les développements à venir. Sachez qu’il est suivi d’un deuxième tome intitulé Le Dernier des Maîtres dont le contenu est une nouvelle fois très pertinent, la chronique arrive sur ce site bientôt. Mais si, d’aventure, vous êtes déjà scotchés par ce premier aperçu, vous pouvez vous tourner vers la somptueuse intégrale en deux tomes parue chez Quarto/Gallimard. Je sais de quoi je parle depuis 1975 : les écrits de Dick créent rapidement une accoutumance … tenace. Brillant !
Alain Quaniers

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