La forêt des silences

Brussolo, Serge
Policier & Thriller
Saint-Martin-de-Londres : H&O, 2022, 256 pages, 6.90 €

🙂 🙂 Du bois dont on se chauffe

Un auteur de livres à caractère biographique a disparu depuis trois mois. Paniqué à l’idée d’avoir perdu sa poule aux œufs d’or, son éditeur décide d’envoyer une jeune documentaliste, Naomi, sur ses traces, dans la petite communauté de Hag’s, une ville auto-suffisante perdue dans les forêts du Texas. C’est là que l’auteur avait entrepris de rédiger la chronique du juge Hooter, un homme de sinistre mémoire qui avait la fâcheuse tendance à pendre ses concitoyensà tour de bras.
Dès son arrivée, Naomi est pratiquement muselée, faite prisonnière, privée de ses biens et de ses droits. Car la communauté, voulant à tout prix garantir son autarcie, vit sous la coupe d’un shérif omnipotent mais rarement présent. En son absence, c’est une femme shérif, Rachel, qui se charge de veiller au grain.
Lorsque Naomi retrouve l’auteur, elle découvre un homme prostré, malade, en proie à des délires paranoïaques.
Ainsi apprend-t-elle que de sinistres bûcherons hantent la forêt alentour et qu’ils n’ont d’autre envie que de fondre sur la ville pour en massacrer les résidents. Afin de juguler l’appétit meurtrier des bûcherons, les citoyens de Hag’s désignent chaque année trois victimes expiatoires en sacrifice.
Naomi et Barney ne tardent pas à se retrouver désignés. Pour sauver leur vie, ils doivent quitter la ville.
Mais un autre danger menace également : une mini-guerre civile qui opposerait les habitants de Hag’s (qui, soit dit en passant, sont tous de fieffés délinquants) à l’autorité en place. La révolte couve…

Un nouvel opus réussi

Quel que soit le style littéraire exploité (car Brussolo s’essaie partout, en vrai caméléon), tout nouveau livre de l’auteur attire l’attention. Grand pourvoyeur de titres à la grande époque de la collection Anticipation, Serge Brussolo a peu à peu gravi les marches vers l’édition plus prestigieuse. On l’a connu en policier au Masque poche, en récits antiques ou médiévaux chez son voisin grand format. Au fil des ans, sa capacité à produire s’est un peu tarie et, depuis une incursion en littérature jeunesse – qui a surtout consisté en une nouvelle utilisation de thèmes et idées précédentes -il semble être de nouveau sur une pente ascendante du meilleur tonneau.
Cette “Forêt des silences” porte la marque de l’auteur, à savoir, une paranoïa omniprésente et des idées scénaristiques à la pelle. Si la vraisemblance d’une ville comme Hag’s se heurte au bon sens (comment une telle communauté, qui s’est bâtie au cœur d’une forêt et qui n’attire pas l’attention de la civilisation pourrait-elle jamais réellement exister ? L’autarcie totale n’étant de toute façon pas possible, eu égard, par exemple, aux besoins en combustible et denrées alimentaires), la ville de Brussolo ne peut faire partie que de la science-fiction, fut-elle dirigée par une étrange Organisation suprémaciste ayant ses entrées dans les sphères économiques et politiques du pays. On pardonne cependant facilement cet apparent écueil car le voyage propose une parenthèse de tension addictive.
En grand Chantre de l’imaginaire, Brussolo signe un nouvel opus réussi, instillant le désir de découvrir au plus vite vers quels rivages incertains l’auteur va bien pouvoir nous emmener à l’avenir.
Éric Albert

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