La mort selon Turner

Willocks, Tim; traduit de l’anglais par Benjamin Legrand; lu par Florian Wormser
Livre audio
Paris : Lizzie, 2020, 21 €

🙂 🙂 🙂 Histoire d'eau

Pour un reste de hamburger

Turner est flic au Cap, en Afrique du Sud. Noir, bâti comme un chêne, il a toujours eu un profond respect pour la justice, désirant coûte que coûte obtenir une issue favorable pour toutes les victimes d’exactions. Qu’elles soient riches ou pauvres.
La demoiselle sans domicile fixe qui trouve la mort, une nuit, écrasée par une benne à ordure malencontreusement poussée par une voiture, ne fait pas exception à la règle.
Partant de minces indices trouvés sur la scène du crime, Turner parvient à définir l’un des responsables de ce drame. Il s’agit du fils de Margot Leroux, une femme d’affaires partie de rien qui s’est bâti un empire dans la région et qui règne en maître sur les industries et les autorités environnantes. Qu’à cela ne tienne, Turner veut obtenir justice, repoussant le dogme bien connu « selon que vous serez puissant ou misérable, etc. ». Même si, apparemment, le chauffeur de la voiture incriminée ne s’est pas rendu compte de son geste fatal.
Mais on ne s’attaque pas impunément à la famille Leroux. D’autant plus quand il s’avère qu’elle a su s’entourer de gros bras chercheurs de bagarre armés jusqu’aux dents et qu’elle n’a pas son pareil pour acheter le silence ou les actes nécessaires à sa protection, même chez les hauts gradés de la police locale !

La violence à la puissance 100

La détermination de Turner va être rapidement confrontée à la violence et la mort, exacerbées par la pression psychologique, le marasme induit par la corruption et la volonté incoercible de la mère de famille prête à tout pour sauver son fils, alors à l’aube d’une carrière dans le…droit.
Alors que son petit club de protégés monte une parade visant à faire accuser un quidam (que sont quelques années de prison contre le versement d’une très grosse somme en dédommagement?), Margot Leroux envisage l’ultime solution pour se débarrasser du flic un peu trop insistant. Le faire tuer étant hors de question – histoire d’éviter de devoir répondre aux questions enquiquinantes du FBI – elle commandite son kidnapping et son abandon en plein cœur du désert du Kalahari. C’est compter sans le jusqu’au-boutisme du policier qui n’aura, pour survivre, que le choix de découvrir combien de litres d’eau un corps humain contient…
Enlevé et rebondissant, placardé de quelques taches de sang bien rouges et de bouts d’organes en tous genres, le roman se lit (s’écoute, en l’occurrence) avec une tension grandissante, voire même avec le cœur au bord des lèvres lors de quelques descriptions bien peu ragoutantes mais pourtant tout à fait vraisemblables.
Le récit, pour efficace en surface, apparaît bientôt beaucoup plus profond. Il pose des questions prégnantes et sensibles sur la condition humaine, la valeur de la vie selon la couleur de la peau ou la situation sociale, la corruption à tous les étages, dénonçant de cent façons une société pourrie jusqu’à la moelle…

Transcendance auditive

La version audio du livre nous permet d’apprécier l’interprétation impeccable de Florian Wormser. Avec sa voix grave, un rien traînante, il donne vie à l’histoire en la teintant de « sombritude », de désespoir, rendant compte de façon faussement détachée de l’horreur des tueries, démembrement et autres leçons pratiques d’anatomie humaine. Si Tim Willocks est parvenu à donner à son récit le cadre d’un western moderne, Florian Wormser nous y fait entr’apercevoir la silhouette de ce justicier assermenté (on pense au fameux Clint des films spaghettis) auquel on s’attache, avec qui on souffre, on espère, on veut croire à un monde meilleur, avant de se rendre compte que, décidément, rien ne pourra sauver l’homme de sa sauvagerie, de son hypocrisie et sa vénalité.
Une écoute âpre, viscérale, addictive au possible qui constitue une façon supplémentaire de découvrir ce roman éprouvant de Tim Willocks qui, soit-dit en passant, n’a jamais mis les pieds en Afrique du Sud. Après ses récits historiques (« La religion » et « Les douze enfants de Paris » qui contenaient eux aussi leur part de violence assumée), l’auteur s’impose avec un art égal dans le récit policier brut de décoffrage.
Si vous cherchez la dentelle, passez votre chemin. Par contre, si vous adorez les climats arides, les personnalités affirmées, la description de personnages à la psychologie tourmentée à bien des égards, ce titre fera un excellent compagnon de route.
Eric Albert

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