Le corps exquis

Brite, Poppy Z. ; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Daniel Brèque
Fantastique
Vauvert : Au diable Vauvert, 2022, 289 pages, 9 €

🙂 🙂 🙂 Un classique à ne pas mettre entre toutes les mains

Homosexuel nécrophile, Andrew Compton est emprisonné à vie dans une prison de haute sécurité en Angleterre pour le meurtre de 23 jeunes hommes. Alors qu’il réussit à s’échapper en prétendant être mort, il tente de se faire oublier en Nouvelle Orléans où sa fuite le mènera au contact de Jay, un autre tueur en série dont les obsessions pour le corps des hommes et la mort sont étrangement proches des siennes.

Poppy Z. Brite, figure majeure du splatterpunk

Sous-genre de l’horreur inspiré par le nihilisme punk, le splatterpunk se caractérise par des récits d’une grande crudité mettant en scène des antihéros particulièrement violents. Clive Barker est, chez nous, la figure la plus connue du mouvement. En rééditant, ici dans un format poche, Le Corps Exquis, les éditions Au Diable Vauvert permettent au lecteur francophone de (re)découvrir l’une des œuvres majeurs d’une autre figure du genre : Poppy Z. Brite. Âmes sensibles s’abstenir !

Description chirurgicale

Troisième roman de l’auteur, Le Corps exquis est le premier à abandonner presque toute dimension fantastique. Si le lecteur peut faire une croix sur les vampires et autres fantômes des premiers textes, l’horreur est, pour autant, bien présente. Car Brite s’attache ici à explorer avec une grande minutie la psyché des sociopathes au cœur de son récit. L’auteur s’attarde ainsi longuement sur les, nombreuses, scènes de meurtre et de torture présentées comme autant d’occasion de comprendre les sentiments et les sensations que peuvent ressentir les deux tueurs en série lorsqu’ils passent à l’acte. S’il n’hésite pas à utiliser un langage cru et explicite, Brite décrit également, dans une forme d’amoralité radicale mais toujours au plus proche de ses personnages, toute la fascinante beauté d’un corps torturé à mort et du pourrissement des chairs. Se dégage de ses descriptions une véritable poétique du macabre propre à l’auteur et qui constitue certainement l’aspect le plus déstabilisant du récit.
Un point de vue d’autant plus troublant que le récit ne propose aucune bonne excuse (si tant est qu’elles puissent exister) ni aucune forme de rédemption ou d’éclaircie. Les tueurs profitent volontiers de la faiblesse des autres, opèrent avec une troublante facilité et échappent aisément à toute forme de justice (l’évasion de Andrew qui ouvre le récit, par son traitement quasi surnaturel, est en soi une forme de condamnation sans fard de l’impuissance de société humaine à contenir la pire horreur exercée par une partie de ses membres).

Critique sociale

En cela, le roman propose également un portait particulièrement nihiliste de l’Amérique, voire de l’Occident (le récit s’ouvrant en Angleterre), de la fin du XXe siècle. Car, tout au long du récit, plane la question de l’exclusion, de l’ostracisation des minorités (sexuelles et raciales) et des dégâts qu’a provoqué l’apparition du SIDA dans les milieux gays et undergrounds. S’inscrit ainsi progressivement une critique du puritanisme américain et de ses conséquences parfois catastrophiques sur les personnes les plus fragiles. Le personnage de Tran en est l’exemple parfait. Le jeune homme de 21 ans d’origine asiatique rejeté par sa famille et par la société en raison de son homosexualité et de sa maladie se transforme en victime parfaite pour les super-prédateurs Jay et Andrew chez qui l’on retrouve une indéniable dimension vampirique.

Avis aux amateurs

Assurément à ne pas mettre entre toutes les mains, Le Corps exquis est a réserver aux lecteurs amateurs de récits extrêmes et d’expériences littéraires fortes. Exploration minutieuse et amorale des formes de sexualité les plus marginales et des psychés les plus singulières, Poppy Z. Brite propose un récit troublant mais fascinant particulièrement maîtrisé qui, sous des dehors parfois choquants par leur apparente gratuité, révèle sa véritable nature, assurément radicale, au fils de la lecture.
Nicolas Stetenfeld

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