Le dernier rivage

Shute, Nevil ; traduit de l’anglais par Marie-Odile Probst
Science-fiction
Nolay : Les éditions du Chemin de fer, 2022, 400 pages, 21 €

🙂 🙂 🙂 Soft apocalypse

L’enchaînement incontrôlable, celui que tout le monde redoutait, prit place en 1961. Il débuta par le tir d’un missile nucléaire, on ne sait plus d’où exactement, tout alla très vite, mais il fut suivi de ripostes qui elles-mêmes entraînèrent des envois punitifs. Le début d’une guerre mondiale rapide -trente-sept jours- et dont l’histoire n’a pas pu être écrite, qui laissa l’hémisphère nord dévasté, comme si aucun humain n’y avait jamais habité. D’ailleurs, plus aucun humain n’y vivait en 1963, année où les nuages radio-actifs avaient décidé de finir le travail en recouvrant progressivement l’hémisphère sud, dont ils semblaient bien ne devoir faire qu’une bouchée. De ses habitants en tous cas.

Dernier bastion de l’humanité

Obéissant aux derniers ordres reçus de ses supérieurs, le commandant Dwight Towers, de la marine américaine, a conduit le sous-marin USS Scorpion à Melbourne, et s’est placé sous les ordres de l’armée australienne. Les nuages avancent, Melbourne fait figure de dernier bastion de l’humanité, chacun décompte les jours, personne ne semble réellement croire qu’il vit ses derniers instants, certains préparent un potager dont ils ne récolteront jamais les fruits, d’autres entreprennent des études. Dwight Towers, lui, achète des cadeaux pour sa femme et ses enfants, pour le jour où il rentrera chez lui. Alors qu’il le sait, chez lui, et ailleurs sur la planète, personne ne répond plus aux appels radios que Melbourne lance inlassablement. Lors d’une soirée, Dwight rencontre une jeune femme, Moira. Fille d’agriculteurs, cultivée et bonne vivante, celle-ci s’éprend de Dwight et entreprend à son égard une cour intensive.

Refuser d’y croire

Publié en 1957, « Le dernier rivage » n’est pas le seul livre de Nevil Shute (1899-1960), mais il semble avoir été son plus marquant, celui qui remporta le plus de succès ; il fut même adapté au cinéma en 1959, dans un film réunissant Ava Gardner et Gregory Peck. Plus de 45 ans après sa publication, les premiers moments de sa lecture nous ont surpris, avant de nous charmer et de nous capturer en des rênes douces-amères, nous liant avec assurance et pour longtemps à des personnages d’un réalisme et d’une profondeur confondants. Alternant avec bonheur les scènes de la vie quotidienne avec celles du récit de la dernière mission de reconnaissance dans l’hémisphère nord du Scorpion commandé par Dwight, le récit distille progressivement une tension soutenue et acquiert pourtant la trempe d’un roman de mœurs britannique, souple et grave, creusant au profond de l’âme humaine, allégé par un humour de la même origine : « Que faites-vous ici ? »demande la jeune Moira à une de ses connaissances qu’elle rencontre inopinément sur le sous-marin … « Je fais partie de l’équipage. Recherche scientifique. Je suis surtout là pour casser les pieds aux gens » lui répond-t-il sans attendre. Nous qui croyions voguer en un roman de science-fiction basé sur une dystopie comme les années ’60 nous en ont tant livré, nous nous voyons finalement sombrer, main dans la main de ces personnages justes et attachants, en une extinction dénuée d’effets spéciaux, une « soft apocalypse »exprimée d’une voix mélodieuse et angoissée, avec une retenue et un désespoir élégants.  Juste des hommes et des femmes qui savent et qui refusent d’y croire, qui refuseront d’y croire jusqu’à ce qu’ils aient vu, de leurs yeux vu.
Nous ne saurions terminer sans pointer la beauté de l’objet-livre et le soin apporté à l’édition : papier crème, typographie parfaitement contrastée, photographies en noir et blanc. Ou quand le contenant et le contenurivalisent de séduction.
Nicolas Fanuel

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