Chandler, Raymond ; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Benoît Tadié
Policier & Thriller
Paris : Gallimard, 2023, 246 pages, 14 € (Série noire)

🙂 🙂 🙂 Marlowe entre en scène

Première enquête de Philip Marlowe, un des privés les plus célèbres de la littérature policière, « Le grand sommeil » paraît en 1939 aux Etats-Unis, et en 1948 en France, dans la Série Noire de Gallimard, traduit par Boris Vian. Il est republié ces jours-ci dans la même collection (sous-titrée « classique » pour le coup) et dans une nouvelle traduction de Benoît Tadié. Pour son entrée en scène, Marlowe est contacté par le vieux général Sternwood, un homme riche et soucieux de sa réputation, qui souhaite éclaircir une tentative de chantage dont il est l’objet, via sa fille cadette, Carmen. Bien qu’il ne nourrisse aucun espoir sur celle-ci, qu’il la sache immature, débauchée et joueuse invétérée, le général ne souhaite pas voir se ternir l’image de sa famille. Il charge Marlowe de régler ce qu’il juge être « une tumeur maligne sur [son] dos ». Remontant la piste du maître-chanteur, Marlowe se rend compte que les deux filles de Sternwood, Carmen, la cadette et Vivian, l’ainée, sont liées à des groupes de gangsters actifs dans la pornographie et le jeu qui, à l’occasion, ne rechignent pas au meurtre.

Le grand style

L’intrigue du « Grand Sommeil » est souvent décrite comme complexe (dans son « Dictionnaire des littératures policières », Claude Mesplède parle d’un « embrouillamini »). Cette complexité viendrait de l’habitude qu’avait Chandler de recycler ses précédentes publications et dans ce cas-ci, de sa ré-utilisation de deux nouvelles plus anciennes. Soit, il est vrai qu’il faut suivre, faire tourner un peu ses méninges et peut-être laisser son portable en mode silencieux durant la lecture. Peut-être aussi que les intrigues mainstream actuelles prennent trop par la main. Le fait est que lorsqu’on y plonge, on ne peut que se sentir happé par le « grand style » de Chandler, qui use d’un vocabulaire riche et imagé, agencé en phrases tantôt longues et envoûtantes, tantôt courtes et percutantes. Marlowe, son personnage principal, semble plus vivant et crédible que certains de nos congénères réels, il manie l’ironie et le sous-entendu comme personne et n’est guidé que par son propre sens de la justice. Il ne se revendique de rien, et n’adhère à aucune cause, il a donné sa parole à son employeur, un homme pour lequel il a de l’estime, et c’est le respect de cette parole qui le guide.

Aux sources du genre

Lire « Le Grand Sommeil » c’est d’abord lire un modèle de roman noir, mettant en scène un privé solitaire, « seul héros moral de cette époque » selon Manchette, et on veut bien le croire, et on ne peut s’empêcher de penser à Kenzie et Genaro, les deux privés de Lehane qui, on s’en rend compte ici, doivent tant à Marlowe.  Lire « Le Grand Sommeil », c’est aussi s’immerger dans le tournant qui a fait passer Los Angeles d’une succession de petits patelins insignifiants à la mégalopole qu’elle est devenue : « c’est une grande ville maintenant, Eddie. Des gens extrêmement violents s’y sont récemment installés, c’est la rançon de la croissance ».  Impossible de ne pas penser aussi à Ellroy ou à Connelly et à la manière dont ils ont, après Chandler, fait de cette ville un personnage de leurs écrits. Lire « Le Grand Sommeil » c’est se dire qu’aller aux sources d’un genre littéraire que l’on aime peut s’avérer parfaitement réjouissant en même temps qu’instructif.
Nicolas Fanuel

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