Le passager clandestin

Simenon, Georges; illustrations  de Loustal
Policier & Thriller
Paris : Omnibus, 2018, 204 pages, 29 €

🙂 🙂 🙂 Sur l'île

A bord du navire qui le mène à Papeete, le major Owen, petit-bourgeois anglais d’une soixantaine d’années, bon vivant et sans profession véritable puisque « joueur de cartes » n’en est pas réellement une, remarque qu’une des barques de sauvetage est occupée par un passager clandestin. Sans jamais le voir ni donc savoir s’il s’agit d’un homme ou d’une femme, Owen se met en tête de pourvoir aux besoins alimentaires de cette personne. A l’arrivée à Papeete, Owen constate que la barque est vide.
Même s’il ne l’a avoué à aucun des quelques autres passagers du navire, c’est animé d’un objectif précis que le major débarque sur l’île : il compte y retrouver un jeune homme, héritier d’une immense fortune qui s’ignore et lui prodiguer ses bons conseils. Au fur et à mesure de ses recherches, il en vient à se demander si le passager clandestin et lui-même ne poursuivent pas le même objectif.
Au temps béni des colonies
Publié pour la première fois en 1947, « Le passager clandestin »convoque les souvenirs amassés par Simenondurant le voyage autour du monde qu’il effectua de 1934 à 1935, et plus précisément ceux des deux mois qu’il passa à Tahiti. Et l’on peut dire qu’il excelle à restituer l’ambiance coloniale type de l’époque : couleurs chatoyantes, chaleur, oiseaux de paradis, langueur et oisiveté. Mais derrière l’image de carte postale, il y a le revers de la médaille, très simenonienne :  si tous les passagers débarquent en traînant chacun leur histoire derrière eux, ils deviennent rapidement les proies des coloniaux déjà présents. La petitesse de la communauté entraîne la fin de l’anonymat qui prévalait au départ de Marseille. Chacun épie ses contemporains, untel a toujours une bonne histoire à raconter sur un autre, tout le monde croit tout savoir sur tout le monde. En même temps, l’île elle-même exerce son emprise sur les nouveaux venus qui, chacun à leur rythme, finissent toujours par « s’encanaquiser », soit se laisser gagner par la perte de repères et de valeurs qui les guidaient avant leur arrivée. Leur séjour devient synonyme de parenthèse dans une existence codifiée, rigide et tracée d’avance. Pour certains, cette parenthèse risque de se prolonger au-delà de leurs prévisions.
Du Simenon pur jus : une histoire sans véritable suspense mais dans laquelle on plonge avec délectation, bercé par ce style si particulier et par les superbes illustrations de Loustal, dont il s’agit ici de la quatrième incursion dans l’univers de Simenon. C’est avec grâce et justesse qu’il colore cette plongée édifiante au cœur de l’âme humaine. Un moment de pause salvateur dans la déferlante continue de nouveautés littéraires, comme un retour à une part d’essentiel.
Nicolas Fanuel

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