Noir comme le jour

Myers, Benjamin ; traduit de l’anglais par Isabelle Maillet
Policier & Thriller
Paris : Seuil, 2020, 377 pages, 21,50 € (Collection Cadre noir)

🙂 🙂 🙂 Au couteau

La première victime fut découverte dans une ruelle, quasi au cœur de la ville. Miraculée. La gorge tailladéed’une oreille à l’autre, Jo Jenks, la bonne quarantaine, était une miraculée. Bien connue des hommes de la ville à qui elle offrait ses charmes contre rétribution, puis de  tous les amateurs de films X pour sa seconde carrière dans la vidéo de genre, son âge la faisait doucement dévisser. La voici au cœur du maelström médiatique. La presse locale, en la personne de Roddy Mace, le seul journaliste que compte le « Valley Echo » s’intéresse de près à l’affaire. Mace se voit pourtant rapidement grillé par la presse nationale à sensation, qui n’hésite pas à débourser pour recueillir le témoignage de Jo Jenks. Alors que Tony Garner, l’idiot du village, se retrouve dans le collimateur des flics locaux, un autre policier, James Brindle, détecte les premières incohérences dans le témoignage de la victime. Mis en repos forcé par sa hiérarchie, Brindle connaît bien Roddy Mace, le journaliste : tous deux sont sortis rudement secoués de leur dernière affaire. Lorsqu’une deuxième victime est découverte, Brindle va contacter Mace pour confronter leurs éléments et qui sait, tenter d’unir leurs forces ?

Un passé commun

« Dégradation », tel était le titre du premier roman de Benjamin Myers traduit en français et mettant en scène cette affaire qui avait réuni le flic et le journaliste. Inutile de l’avoir lu avant d’entamer « Noir comme le jour »car, même si l’auteur y fait parfois référence, cette intrigue-ci brille par sa clarté et son indépendance. On y découvre certes deux personnages ayant un passé commun, mais un passé qui les leste comme une enfance difficile ou la perte d’un être cher, pas comme un secret que seuls quelques initiés pourraient partager. Ce passé les rend profonds et d’une humanité crédible, tant pour leurs forces que, surtout, pour leurs faiblesses, à l‘image de la majorité des personnages mis en scène par Myers. Mace, alcoolique en rémission, dort mal : « ses nuits blanches, c’est à son aversion pour lui-même qu’il les devait, jamais rien ni personne ne lui avait inspiré autant de haine », alors que Brindle, incapable de supporter l’inaction, bourré de tics, pratique le sport compulsivement, pour meubler son temps. L’un semble se laisser aller, l’autre tente une stratégie après l’autre pour ne pas sombrer.

Sanglant Yorkshire

Impossible, pour ceux qui ont lu le « Red Riding Quartet » de David Peace, quatre romans d’une écriture fiévreuse et dans lesquels quiconque envisageant la lecture comme une activité passive ne pouvait que se perdre, impossible donc de ne pas établir de lien tant avec le style de Myers qu’avec son intrigue. Il y a la région, ce Yorkshire ensanglanté par les meurtres de l’éventreur dont Peace s’était inspiré, mais également ce Yorkshire imprégné de misère, dont certains habitants pensent que « c’est juste que parfois on a l’impression de ne plus exister pour personne » et dont le « paysage et le climat ont façonné ceux qui y vivent ». Et pour rendre la réalité du climat -poisseux, pluvieux et insidieusement cafardeux- Myers s’y entend. Il y arrive si bien qu’il valide l’idée selon laquelle si certains de ses personnages se révèlent violents, alcooliques ou sordidement intéressés, la grisaille y sans doute une part de responsabilité.

Dire notre monde

Si l’on peut également voir une influence de Peace sur Myers au niveau du style, la force de ce dernier réside toutefois dans ce qu’il a développé en propre. Lui non plus ne prémâche pas le boulot à son lecteur, l’invitant à nouer ou à défaire certains liens ou le poussant à s’interroger sur le monolithisme de façade de certains de ses personnages. Mais son écriture se révèle définitivement plus fluide, plus apprivoisable. On ne s’y perd jamais et si l’on se surprend à revenir en arrière c’est pour mieux s’imprégner d’une phrase ou d’un passage particulièrement évocateur. Adepte de la tempérance et pondéré comme un stoïcien, Myers ne jette -presque- personne dans le camp du bien ou du mal. Cabossés, ses personnages arrivent à susciter plus de compréhension que de jugement, tout cela dans une intrigue qui ne faiblit jamais et dont les ressorts plongent au cœur même des tourments de notre début de siècle. Du grand, du très grand roman noir, digne, qui ne racole rien -pas une seule goutte de sang de trop- et qui dit notre monde.
Nicolas Fanuel

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