2312

Robinson, Kim Stanley ; roman traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Thierry Arson
Science-fiction
Paris : Actes sud, 2019, 612 pages, 10.70 € (Collection Babel)

🙂 🙂 SF exigeante pour explorateur contemplatif

À l’aube du XXIVe siècle, le système solaire est largement colonisé et la vie en-dehors de la Terre s’est normalisée. Swan, artiste de l’extrême et spécialiste de la terraformation, est meurtrie par le décès soudain et quelque peu suspect de sa grand-belle-mère Alex. Rapidement contactée par Wahram, un ancien collaborateur d’Alex et par l’inspectrice Genette, Swan va tenter de révéler le secret qui entoure cette mort sans savoir qu’elle va rapidement se heurter à ce qui semble être un complot gigantesque menaçant les fragiles relations interplanétaires régissant le système solaire.

Un roman qui ne dit pas son nom

Kim Stanley Robinson est aujourd’hui considéré comme une figure majeure de la science-fiction contemporaine. Auteur de la célébrissime trilogie martienne qui retraçait avec une précision quasi-chirurgicale la lente terraformation de la planète rouge, il signait alors une des œuvres les plus passionnante du sous-genre, parfois un peu austère, de la hard SF.
Si 2312 fait largement écho à cette trilogie, le roman risque de ne pas rencontrer le succès de son illustre prédécesseur et Robinson semble trouver ici un malin plaisir à désamorcer les enjeux posés par sa propre intrigue et contrarier les attentes de ses lecteurs.
En effet, alors que le début du roman offre la promesse d’un vaste polar interplanétaire, il n’en est, au final, rien. On peut d’ailleurs se demander ce qu’a précisément cherché à faire Robinson en traitant son intrigue avec une telle désinvolture (à la page 486 – sur les 613 que comptent l’édition de poche – le narrateur, dans un élan de lucidité, affirme : « C’était donc plutôt le début de leur enquête »). Car d’enquête policière, il n’en sera pas vraiment question et si l’on découvre bien, à la fin du roman, les tenants et aboutissants de la conspiration qui menaçait le système solaire, la résolution est proposée dans une forme d’indifférence tout à fait étonnante.
Les amoureux de science-fiction risquent de ne pas retrouver non plus les ingrédients traditionnels qui font le sel du genre. Ainsi, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, les innombrables voyages en vaisseaux qui ponctuent l’intrigue sont presque systématiquement occultés. Les protagonistes peuvent franchir les centaines de millions de kilomètres qui séparent deux planètes en une phrase. Au contraire, l’auteur consacre, dès le début du roman, plus de 50 pages à la description minutieuse de la marche forcée de Swan et Wahram à travers un tunnel de sécurité construit sous la surface de Mercure. On comprend aisément que dans un monde totalement soumis à la technologie, une telle déambulation constitue un événement plus extraordinaire qu’un voyage dans l’espace devenu routinier. En cela, l’effet de renversement est évident mais ne rend pas ce passage plus passionnant pour autant.

Contempler l’univers

Ces multiples pieds de nez au lecteur, dont le systématisme semble écarter l’hypothèse de la maladresse ou des faiblesses d’écriture, risquent dès lors de limiter le public potentiel du roman aux amateurs de textes singuliers prêts aux longues digressions et aux descriptions minutieuses (le roman s’étend sur plus de 600 pages et la taille des caractères semble avoir été choisie pour éviter de devoir le sortir en deux volumes).
Car Robinson semble avant tout intéressé par son univers. Il consacre ainsi de longs chapitres aux descriptions des différentes planètes, de leurs particularités géologiques et de l’avancement de leur colonisation. De même, il s’arrête à plusieurs reprises sur les implications morales et psychologiques des modifications physiques que Swan a subies tout au long de sa vie et propose ainsi un ensemble de réflexions d’ordre métaphysique sur l’humain, devenu presque immortel et aussi facilement modulable qu’une boule de Plasticine.
De plus, l’histoire principale est entrecoupée de listes de mots ou de compilation d’extraits courts (eux-mêmes régulièrement interrompus en milieu de phrase, sans que l’on comprenne exactement pourquoi) décrivant l’état des connaissances humaines. Leur intérêt dans l’intrigue et dans la compréhension globale de l’univers est discutable et leur présence presque systématique entre deux chapitres casse un rythme pourtant déjà pour le moins nonchalant.
Reste un style relativement classique mais agréable, une écriture distante, réservée qui donne parfois l’impression d’un détachement excessif par rapport à ce qui est raconté. La caractérisation des personnages en prend un fâcheux coup. Pourtant longuement décrits, ils paraissent inconsistants et peu impliqués. De même, l’énergie qui pourrait sortir des quelques scènes à grand spectacle est totalement désamorcée par un ton flegmatique menaçant d’ennui les lecteurs les moins patients. 

Contemplatif et opaque

Sorte d’étude du milieu élargie à l’ensemble du système solaire plus que roman, 2312 n’est pour autant pas totalement dénué d’intérêt et quelques très beaux passages ne manqueront pas de marquer le lecteur. Néanmoins, en étant plus proche dans le rythme et les thèmes abordés du contemplatif et opaque The Tree of Life de Terrence Malick que de la saga explosive The Expanse de James S. A. Corey, 2312 ne s’adresse assurément pas aux amateurs d’une science-fiction traditionnelle. Il donne de surcroit la désagréable impression au lecteur d’être un peu trop idiot ou, du moins, pas suffisamment attentif pour pouvoir saisir les véritables enjeux du récit, tant ceux-ci sont dilués dans d’infinies digressions. Mais peut-être n’y a-t-il rien de plus à comprendre ? À chaque lecteur d’en juger. 
Nicolas Stetenfeld

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