Oates, Joyce Carol ; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude Seban
Policier & Thriller
Paris : Philippe Rey, 2023, 599 pages, 25€

🙂 🙂 Enrobage

On ne la présente plus. Joyce Carol Oates reste une des plus prolifiques auteuresaméricaines et ce depuis plus de 40 ans.
On ne se lasse pas de la peinture sociale très critique des Etats-Unis qu’elle distille avec, en points d’orgues, le féminisme, le racisme, l’utopie politique, le machisme, la criminalité et, bien entendu, l’amour, souvent tracassé par les leitmotivs cités ci-dessus.
Si elle manie autant de registres avec un succès équivalent (même ses autobiographies et ses journaux intimes trouvent bon nombre de lecteurs), elle le doit avant tout à ses façons d’écrire. Elle sait parfaitement adapter la langue employée aux environnements, aux univers qu’elle décrit, se faisant douce et langoureuse pour certains, acerbe et directe pour d’autres, sensuelle et poétique pour d’autres encore. L’analyse psychologique de ses personnages féminins se révèle très souvent passionnante (citons “Blonde” ou “Les Chutes”) et les tourments mentaux qui hantent ses plus belles figures sont autant de plongées dans un inconscient qui se révèle, qui se réveille et qui ouvre la voie à des récits où la folie côtoie l’absurde, le fantastique et la violence.
“Babysitter”, le dernier roman en date, est une brillante illustration du cahier des charges que J.C. Oates applique à chacun de ses écrits.

Une bourgeoise qui s’ennuie

On y suit une femme bourgeoise et aisée mais enfermée dans les carcans sociétaux machistes des USA des années ‘70. Bref, Hannah Jarrett s’ennuie et rêve de validation de sa personne que son mari, aimant mais distant, ne peut lui offrir. L’idée de l’adultère la titille. Il ne faudra qu’un frôlement sur le poignet d’un bel inconnu lors d’une soirée mondaine pour la pousser à l’acte.
Les rencontres hésitantes au départ, dans une chambre d’hôtel luxueux, parviennent peu à peu à masquer la culpabilité qui l’étreint tout comme la peur que son entourage découvre sa conduite déviante. Mais son amant, dont elle ne connaît que très peu de choses, se montre volontiers plus insistant, plus dominateur, plus pervers aussi. Au point de laisser sur son corps des marques compromettantes…
Mère de deux enfants, Hannah suit l’actualité entourant les agissements d’un tueur en série qui sévit dans la région, nourrissant une crainte légitime que le désaxé insaisissable ne croise la route de sa progéniture. Ses peurs sont davantage exacerbées par le climat de violence qui baigne la ville de Détroit (Michigan). De proches voisins ont récemment été assassinés dans leur maison…
Elle-même subit l’intrusion d’un sombre individu dans sa demeure, qui tente de l’arnaquer en menaçant de révéler son infidélité conjugale. Car elle a décidé de rompre avec son amant mais celui-ci ne l’entend pas de cette oreille et commence à exercer une pression de plus en plus insupportable.
La culpabilité, la honte, la peur pour ses enfants et pour elle-même emmène Hannah sur le chemin d’une paranoïa qui pourrait lui laisser penser que son amant et Babysitter-le-tueur serait une seule et même personne

Un final déroutant

Nous entrons avec ce livre dans un univers sombre où le suspense est omniprésent mais pas nécessairement là où on l’attend de prime abord. Sous le couvert d’une enquête autour d’un tueur en série d’enfants, Joyce Carol Oates, fidèle à son ADN, préfère explorer l’impact psychologique et sociétal généré par son récit. Ainsi, dans les quelques quatre-vingt premières pages, l’auteure nous ramène inlassablement à ce couloir d’hôtel puis à cette porte de chambre devant laquelle la femme pas encore infidèle questionne sa conscience et tente de juguler l’élan de ses pulsions. L’évocation du tueur en série ne survient que bien plus tard – un peu comme un cheveu dans la soupe – et, pour les amateurs purs et durs de thrillers, cette attente avant l’exposition peut s’avérer rebutante. Qu’à cela ne tienne, une fois lancé sur ses propres rails narratifs, le roman se déroule sans anicroches, incitant à un appétit de lecture insatiable jusqu’à un final pour le moins déroutant…
Petite anecdote : ce récit figure déjà dans une version lacunaire et extrêmement concentrée, sous le même titre, dans le recueil “Terres amères”, publié il y a quelques années. C’est le confinement dû au Covid qui a donné envie à l’auteure de donner pluie de corps à son histoire. Faire feu de tout bois, dit-on…
Éric Albert

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