Cendres vives

Brussolo, Serge
Policier & Thriller
Saint-Martin-de-Londres : H & O éditions, 317 pages, 8.90 € (H & O poche)

🙂 Concentré perturbant

Compagnon de longue date

Je suis un amateur précoce de Serge Brussolo. Je l’ai découvert avec « Vue en coupe d’une ville malade », j’ai suivi sa production (pléthorique) dans la collection Anticipation (Fleuve Noir), ai dévoré tous ses romans policiers au Masque, ai collectionné avidement les superbes éditions des éditions Gérard de Villiers et me suis réjoui de le voir entrer dans le grand format avec ses romans moyenâgeux. Je le considérais alors comme un auteur majeur, appelé à truster les premières places des hit-parades des ventes (du moins en France). Je me souviens de l’émotion quasi-extatique procurée par la lecture de « La Moisson d’hiver » (Denoël).
Puis, Brussolo a voulu recycler ses sujets de romans de science-fiction, les adaptant pour un public adolescent (Peggy Sue) puis encore plus enfantin (Sigfried, Elodie). Bien que n’étant pas le public cible, j’ai suivi les différentes parutions, me forgeant un sentiment mitigé, une impression de facilité de la part de l’auteur.
Je me suis alors distancié de son œuvre, alimentant la nostalgie de ses premiers textes (je parle là d’une bonne centaine tant sa bibliographie est impressionnante). Je me suis intéressé à ses nouvelles parutions (l’Agence 13, les thrillers californiens au Livre de poche,…) et aux nombreuses rééditions de titres plus anciens.

Tel le phénix…

J’ai été ravi de découvrir la parution de ce nouveau roman chez un nouvel éditeur, H&O. La maquette, de toute beauté, le résumé du quatrième de couverture, la qualité de la typographie intérieure, tant d’éléments qui auguraient des retrouvailles flamboyantes avec mon auteur fétiche.
Pour qui n’a jamais lu Brussolo, il faut savoir que l’auteur manie avec efficacité le mystère, le suspense, et sait instiller une tension délétère. Utilisant volontiers le grotesque, l’absurde, le grandguignolesque, il met souvent en scène des personnages torturés, en quête d’un sens à leur existence et, presqu’invariablement, poursuivi par un sentiment paranoïaque aigu. Les mondes de Brussolo, comme décalés de la réalité conventionnelle, semblent marqués au fer du complotisme mondial, de l’exploitation sordide de l’humain. Les protagonistes, de premier plan comme ceux qui agissent dans l’ombre, ne sont jamais ce qu’ils semblent être. Ils cachent toujours un dessein obscur, sont agités de motivations inavouables et beaucoup de romans de Brussolo jouent sur cette machinerie du faux-semblant.
Une autre caractéristique de la prose du Français, c’est l’imagination débordante qui suinte des pages. Une idée par page, voire plus, dont certaines pourraient tout à fait se retrouver au cœur d’un autre roman. Cela part donc souvent dans tous les sens et le final des récits peuvent apparaître de ce fait un peu faiblards par rapport à la débauche d’inspiration contenue dans le volume entier.

L’assemblage du puzzle

Ce « Cendres vives » ne fait pas exception à la règle. On y retrouve toute la verve de l’auteur, son goût pour les endroits confinés, pour les forces sous-jacentes qui veulent gouverner le monde et pour ses personnages gigognes parfois caricaturaux.
Jérémie a vécu au Chili, auprès d’un père, ingénieur agronome, versé dans des pratiques et des affaires louches et une mère bipolaire relativement distante. Avec l’aide de Diego, un aspirant chirurgien, un dispensaire pour les populations locales a été créé. Afin de faire face à une invasion de termites, un chamane, Isaki, intègre la maisonnée. Il porte autour du cou une bourse contenant les cendres de ses ancêtres. Prétextant être capable de faire revivre les défunts, Isaki emmène Jérémie et son frère Jonah au cœur de la jungle…où ce dernier est sacrifié sur un autel mystérieux. Rendu coupable de la disparition de son frère, Jérémie est envoyé dans une institution paramilitaire aux États-Unis (dans le Maine) où il reçoit un enseignement censé faire de lui un espion moderne, maillon d’une conspiration mondiale à venir. Inscrit bientôt à l’université (à deux, en fait…), Jérémie s’intéresse alors à l’archéologie et sa rencontre avec la vénéneuse Emilia va le mener dans une aventure, la recherche d’un trésor inestimable, que n’aurait pas renié Indiana Jones. Les événements de la vie du jeune homme vont sans cesse le ramener vers son passé, et toutes les certitudes sur lesquelles il avait bâti sa personnalité volent en éclats, lui révélant des vérités non avouées sur sa mère, sur Diego, sur ce que d’aucuns ont voulu faire de lui…
On le comprend aisément, le roman ne possède pas une identité figée : chaque partie place le héros dans un environnement différent, avec des personnages différents, des ambitions différentes. Au départ, on pense que le récit se concentrera sur cette capacité à faire revivre les défunts mais le sage Isaki disparaît dès la deuxième partie où on suit le parcours estudiantin de Jérémie, dans une sorte d’institut broyeur d’âmes et de chair (la lecture concomitante du dernier Stephen King offrant l’un ou l’autre parallélisme saisissant), tandis que la suite de l’histoire met l’accent sur la paranoïa qui étreint le jeune homme, convaincu d’être pisté par un tueur aux méthodes extrêmes. La chasse au trésor ne constituant alors qu’un prolongement somme toute abscons.
Peut-on qualifier ce roman de salmigondis ? Oui, sans doute. Mais c’est un mélange assumé, articulé, perturbant, servi par un art consommé de la narration.
On aimerait Brussolo plus carré, moins hyperactif dans son inspiration, moins accro à la démesure et à l’extravagance. Mais serait-il encore lui-même ? Chaque écrivain a sa marque de fabrique. Celle de Brussolo est une véritable marque déposée. A prendre ou à laisser.
Eric Albert

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