Dos Santos, José Rodrigues; lu par Philippe Allard
Livres audio
Paris : Lizzie, 2020, (format MP3), 21 €
🙂 Ecoutez le professeur
On compare aisément cet auteur portugais, venu sur le devant de la scène grâce à son deuxième roman (« la Formule de Dieu ») à Dan Brown ou à Umberto Eco. Journaliste, il est la star du journal de vingt heures dans son pays et il agrémente, chaque année environ, les sorties littéraires par des ouvrages empreints de connaissance, de mystères liés aux grands questionnements universels et d’érudition trahissant un grand souci d’exactitude, de vraisemblance et de critique historico-scientifique. (1)
L’autre Christophe Colomb
Ce « Codex 632 » est en fait le tout premier roman paru de Dos Santos. Il y introduit le personnage de Tomas Noronha, cryptologue attaché à l’Université de Lisbonne. Passé maître dans le déchiffrage de codes, Noronha est contacté par la Fondation pour l’histoire des Amériques. Contre la promesse d’une grosse somme d’argent, Nelson Moliarti, le porte-parole de l’association, le charge de reprendre les recherches entamées par un historien, le Professeur Toscano, retrouvé mort – assassiné ? – dans une chambre d’hôtel au Brésil. Apparemment, l’historien aurait découvert une information capitale sur le navigateur Christophe Colomb. Mais il n’aurait laissé que quelques éléments de réponses codés.
Lancé sur la piste de révélations pouvant bouleverser l’histoire officielle, Noronha avance en terrain miné. Grâce à des documents auxquels il a pu accéder en manipulant psychologiquement – entre autres- la pauvre veuve du professeur décédé, le cryptologue lève peu à peu le voile sur une vérité absolument stupéfiante : Christophe Colomb n’est pas du tout celui qu’il a prétendu être ou même celui que l’Histoire a fait de lui, à savoir, un pauvre fils de tisserand gênois ayant réussi à convaincre la cour d’Espagne de lui octroyer de mirobolants crédits pour découvrir une voie maritime pour arriver aux Indes par l’Ouest.
Mais cette révélation ne semble pas être au goût des puissants membres de la Fondation. Qui n’hésitent pas à saborder de précieux documents historiques pour servir leurs intérêts.
Fondements théoriques passionnants
Dos Santos ne craint pas la complexité. Et il doit certainement croire que tous ses lecteurs ont– au moins – la même soif de connaissances et de théories que lui. Aussi a-t-il tendance à noyer son intrigue dans des présentations, des débats, des cours ex-cathedra, des textes confinant à la conférence, qu’il place dans la bouche de ses personnages, les faisant ressembler à des Pic de la Mirandole dans leurs domaines respectifs. Cela endort le rythme du livre et donne envie de passer l’un ou l’autre chapitre afin de tenter de retrouver un certain rythme narratif.
Pourtant les fondements théoriques de son récit sont passionnants. L’auteur montre avec évidence le gouffre qui existe entre l’Histoire telle qu’elle a été codifiée et les causes ou raisons réelles – ou supposées telles – des grands événements. Par exemple, il est étrange de constater que Christophe Colomb a entrepris son premier voyage le jour fixé par un arrêt de la Cour d’Espagne pour l’expulsion des juifs du pays. Penser que le navigateur était une Maranne (un juif discret) qui a voulu emmener des représentants de sa philosophie vers une terre promise n’est pas absolument abscons.
Premier roman à la hauteur
A côté de ce souffle dévié de l’Histoire, Dos Santos tisse un décor familial dramatique (une épouse fatiguée, amateur de la symbolique des fleurs, et une fille, Margarida, atteinte de trisomie 21, en attente d’une opération salvatrice mais hautement dangereuse) duquel on a du mal à accorder de l’importance. Quant à la maîtresse du cryptologue, la trop jolie Lena, on discerne sa duplicité dès son entrée dans la salle de cours de l’université.
S’agissant d’un premier roman, on peut facilement excuser quelques incohérences ou des maladresses dans la description ou les dialogues. Mais peut-on réellement croire qu’un professeur d’Université, cryptologue et versé dans des recherches sur le passé caché d’un illustre navigateur, ne capterait pas immédiatement qu’un message codé faisant référence à Umberto Eco et à un certain Foucault renvoie au roman de l’auteur italien (« Le Pendule de Foucault », qui rend compte du mouvement giratoire de la Terre) et non au philosophe français ? Cela aurait évité un très pesant passage sur les explications de la pensée philosophique en question. Passage qui n’apporte absolument rien à l’intrigue ou à sa résolution, laissant à penser que l’auteur a voulu uniquement étaler, une fois de plus, son érudition.(2)
S’agissant d’un premier roman, on ne peut que davantage apprécier le twist final, la mise en abîme délectable orchestrée par un héros poussé à bout. Cela clôt le livre de manière admirable.
Verbiage grandiloquent
Malheureusement, la version audio de ce roman le déssert. Car il ne nous permet pas d’apprécier les graphiques et les codes représentés dans l’ouvrage imprimé. La voix de Philippe Allard, si elle s’évertue à rendre hommage et à respecter les prononciations de la langue portugaise, apparaît poussive et guindée entre les « Tomach » (pour Thomas), les « Marrgarrida » et les nombreux noms de lieux prestigieux aux patronymes tous plus pompeux les uns que les autres. L’auditeur n’a pas d’autre choix que de subir ce verbiage grandiloquent, là où le lecteur peut aisément appliquer au texte une tonalité finalement moins agressive à l’oreille.
Reste un éclairage étonnant sur une période fondatrice de l’histoire mondiale. Qui aurait gagné en étant simplifiée pour s’adresser à des profanes – écueil qui sera encore plus problématique dans le roman suivant, « La Formule de Dieu », qui postule que tout un chacun possède une connaissance suffisante des théories scientifiques pour en savourer toute la densité didactique.
Peut-on avancer que certains textes ne se prêtent que modérément à l’écoute ? Si cela est avéré, ce « Codex 632 » en est un exemple.
(1) le tout dernier roman, paru au Portugal, « Imortal » vient de recevoir le Prix de la meilleure fiction lusophone
(2) plusieurs autres chapitres s’épanchent aussi sur des considérations religieuses ou culturelles sans réel raccord avec la trame principale…