Destination Outreterres

Heinlein, Robert ; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patrick Imbert
Science-Fiction
Vanves : Hachette, 2022 ; 350 pages 22 € (Collection Le Rayon Imaginaire)

🙂 🙂 Rétro SF

Dans un futur moyennement éloigné, grâce à l’invention du Portail, l’Humanité a colonisé des planètes habitables disséminées dans le vaste univers. Ce sont les Outreterres. Cette colonisation a permis aux hommes d’éviter le piège malthusien de la surpopulation et de l’épuisement des ressources naturelles tout en mettant en place les conditions économiques d’une croissance perpétuelle. Mais attention, rien n’est gratuit en ce bas monde et le coût énergétique de l’ouverture des Portails fait que les colons se retrouvent souvent assez isolés et doivent faire face à un environnement qui, s’il est effectivement propice à la vie terrestre, peut se révéler assez complexe à gérer (tant en termes de faune et de flore que de conditions climatiques et autres). Pour maximiser ses chances de réussite, chaque colonie possède des spécialistes en Outreterres ; spécialistes qui sont formés dans les universités terriennes. Ce sont évidemment des métiers enviés car ils sont pécuniairement intéressants et permettent à leurs titulaires de vivre la « grande aventure ». Petit bémol, l’accès à ces formations n’est ouvert qu’aux lycéens qui ont passé l’épreuve de survie. Chaque candidat à l’épreuve est transporté via Portail dans un monde inconnu et potentiellement dangereux sur lequel il a une semaine pour parcourir la distance de quelques kilomètres qui le sépare du Portail de retour. Malgré les réticences de sa famille et de son professeur de survie, le héros de notre histoire, le jeune Rod Walker, décide de passer le test. Il se retrouve donc dans l’inconnu et là, catastrophe, pas de Portail de retour. Commence alors une lutte assez âpre pour la survie d’abord seul et ensuite avec les autres infortunés de sa promotion.

« La plus grande invention de l’Humanité, c’est le gouvernement »

Une nouvelle variation sur la vague à succès du roman de survie, me direz-vous. Certes, ce thème est bel et bien là mais le roman date de 1955 et il est de la plume d’un des plus grands auteurs du monde de la SF, Robert Heinlein. C’est en fait un inédit qui appartient à la veine « romans pour adolescents » de l’auteur (comme les excellents « Citoyen de la Galaxie » et « L’Âge des Etoiles »). Étrange écrivain qu’Heinlein : adulé aux États-Unis, considéré comme un des trois grands de l’Âge d’Or (avec Asimov et Clarke), il a toujours provoqué des réactions ambiguës sous nos latitudes. On lui reproche principalement son côté réactionnaire (avec le tristement célèbre « Étoiles, garde à vous ! ») et ses prises de positions tonitruantes (notamment en faveur de la guerre au Vietnam). Bref, dans le monde de la SF francophone qui était largement de gauche en son temps, le moins qu’on puisse dire est que le courant ne passait pas. Et puis la parution d’ « En Terre Étrangère » et de « Révolte sur la Lune », deux romans imprégnés d’idéaux plutôt progressistes, a laissé tout le monde dubitatif. En réalité, les choses sont assez simples et tiennent à la philosophie politique de l’auteur, le libertarisme. Heinlein est un auteur de SF qui utilise son excellent sens critique et son tout aussi excellent bagage scientifique pour nous parler inlassablement d’un même sujet : le devenir de la société en tant que structure au service de l’individu ; individu dont la liberté est conçue comme un droit naturel. Une nouvelle fois, cette philosophie politique est au cœur du roman. Certes, l’histoire débute comme un « survival » pur jus mais bien vite, le sujet principal devient la lutte de notre groupe d’adolescents pour recréer la civilisation ; bref, un genre de « Sa majesté des Mouches » à l’envers.

De l’importance des idées…

Objectivement, le roman a vieilli : une écriture désuète, des clichés d’une autre époque (sur les femmes, notamment ; même si les personnalités fortes de la gent féminine ne manquent pas) et une mécanique d’un autre âge (les fameux Portails qui sont scientifiquement aussi crédibles que les Portoloins de qui vous savez) ; autant d’aspects qui rendent la lecture par moment un peu laborieuse. Ceci-dit, tout cela est largement contrebalancé par le rythme du roman (c’est assez court et assez speedé), un certain humour et un très bon traitement des idées. Bref, je vous invite à prendre ce roman pour ce qu’il est : témoignage de cette époque qu’on a appelé l’Âge d’Or de la SF, avec une littérature assez pauvre en qualité d’écriture mais extrêmement riche au niveau des idées. Bonne lecture.
Thierry Istace

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Fill out this field
Fill out this field
Veuillez saisir une adresse de messagerie valide.
You need to agree with the terms to proceed