La terre des morts

Grangé, Jean-Christophe
Policier & Thriller
Albin Michel, 2018, 553 pages, 23.90 €

🙂 🙂 🙂 Tu vois le tableau?

Corso est un flic torturé. Père d’un fils, Thadée, dont il a du mal à assurer la garde et qu’il doit se résoudre à laisser avec son ex-épouse, une femme légèrement dérangée, adepte du sado-masochisme qui se plaît à faire de sa vie un cauchemar, il a lui-même un parcours atypique. Plus jeune, il a été un délinquant violent avant qu’une bonne âme policière ne le remette sur le droit chemin.

Il n’est donc pas ce qu’on pourrait appeler un modèle de stabilité. Mais le moins qu’on puisse dire c’est qu’il se donne à fond pour son boulot.

Deux jeunes filles ont été récemment retrouvées mortes, dans une mise en scène morbide : leur corps entravé selon une technique de nœuds, dans une position des plus inconfortables, et, dans la bouche, un objet leur ayant bloqué la gorge. De la torture pure et simple, perpétrée par un malade psychopathe, qui fait sûrement partie des clients du club de strip-tease où les victimes travaillaient.

La découverte d’un carnet de croquis dans les coulisses de la scène de la boîte en question met Corso sur la piste d’un peintre à l’allure inquiétante (costume blanc et chapeau borsalino), un certain Philippe Sobieski.

Un génie selon certains, grand amateur des peintures de Francisco Goya et de ses représentations violentes et macabres. Il posséderait d’ailleurs une série d’œuvres inédites, les Pinturas Rojas, dont le visuel fait penser au mode opératoire des meurtres des jeunes filles. Il se révèle également un séducteur hors-pair, malgré un physique peu avenant. Même s’il dispose d’un alibi indiscutable pour les moments des meurtres, déterminés par l’enquête, Corso n’en démords pas et décide de filer l’individu jusqu’en Espagne puis à Londres…où le corps d’une troisième victime, un garçon cette fois, est retrouvé dans la Tamise, selon le même schéma que l’exécution des strip-teaseuses.

Bientôt confondu par des découvertes inculpantes dans son atelier d’artiste, Sobieski est arrêté.

Pour le défendre lors de son procès, il peut compter sur Andréa Muller, une avocate qui a tout du bouledogue et qui tient un schéma à décharge qui laisse Corso pantois. Si Sobieski est réellement innocent, qui se cache derrière les meurtres des strip-teaseuses ? Quel rôle joue exactement son avocate ? Pourquoi prend-t-elle un malin plaisir à mettre Corso face à ses responsabilités, le gratifiant volontiers d’incompétence et de parti-pris ?

Jean-Christophe Grangé n’est plus à présenter. A-t-il jamais failli dans son objectif de combler son lecteur de sensations fortes ? Il n’a pas son pareil pour sonder les bassesses et les travers les plus pervers de la nature humaine. Plus puissant qu’un Thilliez, plus subtil qu’un Chattam, Grangé offre une lecture véritablement glauque, addictive et passionnante. Son dernier roman conjugue tous les atouts qu’on connaît de son art. Durant quatre cents pages haletantes, il nous mène allégrement en bateau sur les traces d’un coupable tout désigné pour mieux retourner nos certitudes à l’issue d’un procès d’assises qu’il nous livre intégralement – un tour de force à n’en pas douter -. Ses personnages, troubles et ambivalents, marquent la mémoire du lecteur autant que la noirceur du propos, la description de techniques de bondage, du milieu de la pornographie et des conditions de vie des « filles de la nuit ».

Le dénouement de son récit est tragique, à mille lieues de ce que le lecteur était en droit de s’attendre et, si on peut considérer que les tenants et aboutissants de son intrigue sont un peu tirés par les cheveux – car c’est une démonstration ultime de ce que peut façonner la folie humaine – on ne peut que se rendre compte de la construction limpide, cohérente et inéluctable de son roman.

Nous avons affaire à du grand art. Et on en redemande.

Eric Albert

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