Robicheaux

Burke, James Lee; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier
Policier & Thriller
Paris : Rivages, 2019, 504 pages, 23 € (Collection Rivages-Noir)

🙂 🙂 🙂 Perte d'équilibre

Dave Robicheaux est toujours enquêteur dans la paroisse d’Iberia, sous les ordres d’Helen Soileau, sans doute une des seules femmes sur Terre qui le comprenne. Il vit toujours au bord du bayou Teche, à quelques kilomètres de La Nouvelle Orléans, dans sa « shotgun house » et son meilleur ami reste Clete Purcell, personnage hors norme, torturé par son passé et dont la profession de détective privé l’entraîne régulièrement à travailler avec lui.

 Vers le chaos

Depuis « Lumière du monde », sa précédente enquête, c’est une forme de chaos beaucoup plus insidieuse qui s’est installée dans la vie de Robicheaux. Elle prend naissance avec la mort de sa femme, Molly, dans un accident de voiture. Même s’il sait qu’il s’agissait bien d’un accident, Dave est tenaillé par une envie de vengeance, un besoin de trouver le conducteur de l’autre véhicule et de laisser ses plus sombres démons s’exprimer, ceux qu’il a ramenés de la guerre du Vietnam ou de ses années à patrouiller dans les rues de La Nouvelle Orléans. À défaut, et parce que parfois, certains de nos démons nous semblent moins graves à satisfaire que d’autres, Robicheaux cède à l’un de ses plus vieux et plus dangereux amis : l’alcool.
Lorsque le chauffeur de la voiture qui a tué sa femme est retrouvé mort, Robicheaux commence à s’interroger. Serait-il l’auteur du meurtre ?
Parallèlement, un parrain du crime, un politicien populiste et un écrivain engagé font appel à lui pour différentes raisons qui toutes finissent par se croiser et mener à des morts violentes.

Fantômes, alcool et violence

Vingt et unième enquête de Dave Robicheaux, celle-ci porte son nom. Sans doute parce que, peut-être plus que les autres, elle dévoile le personnage dans toute sa complexité et, en même temps, parce qu’elle en offre un portrait encore plus clair. Déboussolé par la mort de sa femme, Dave reste pourtant très pudique à ce sujet, sa peine semble enterrée au plus profond de son âme, sous les couches de ses autres hantises : la violence, les fantômes des soldats confédérés et l’alcool. L’alcool, cette « irrésistible envie qui ne m’avait apporté que la maladie et la tristesse » et qu’il combat -notamment- en se rendant régulièrement aux réunions de AA qui ponctuent tout le roman :« j’allais régulièrement aux réunions […] et pourtant j’avais choisi d’être de nouveau ivre, et de détruire non seulement ma propre vie, mais aussi la foi et la confiance de mes compagnons ». L’alcool également qui lui cause peut-être ses visions de soldats confédérés lorsqu’il longe le bayou, et qui le fait sortir de lui-même et sombrer dans une violence démesurée.Mais un personnage ne se définit pas seulement par ce qu’il est ou ce qu’il fait : son entourage et sa famille le lestent sans doute tout autant aux yeux des autres. La quille de Robicheaux, son point d’équilibre, réside là : sa fille Alafair qui rentre chez lui dès qu’il lui avoue avoir replongé et Clete, indéfectible ami :« je suis de ton côté, même si tu as tué cet homme, je suis de ton côté, mais ne me mens pas ».
Justiciers imparfaits
Profond, presque philosophique, sombre et parfois traversé de traits d’humour à l’ironie mordante, ce dernier roman de James Lee Burke ne déroge pas aux autres marques de fabrique de son auteur. Il y a d’abord ce sens d’une intrigue complexe, à la tension à la fois constante et feutrée, aux personnages nombreux et servie par un style tantôt métaphorique, tantôt direct, aux dialogues d’une efficacité à couper le souffle. Ensuite, le cadre : terre de contrastes, de ségrégation entre noirs et blancs, entre (très) riches et (très) pauvres, la Louisiane se révèle un terreau fertile pour les luttes de pouvoir que Burke s’acharne, roman après roman, à démonter. Derrière chacune de ses histoires, et celle-ci ne fait pas exception, on trouve des personnages au pouvoir déjà bien assis, désireux de ne pas le partager et d’en acquérir plus. Ils sont, hommes d’affaire ou criminels en cols blancs. Le sort des délaissés, des noirs, des enfants et des femmes ne leur importe pas. C’est justement quand il se révèlent plus gourmands ou plus égoïstes qu’ils s’exposent, donnant ainsi à Robicheaux et Purcell l’occasion d’intervenir. Tels d’imparfaits justiciers du XXIè siècle, emplis de contradictions, parfois incohérents et emportés, ces deux-là se pensent atteints d’un trouble mental, qui, comme le dit Dave : «se déclenche toujours dans des situations liées à la dégradation du corps et de l’esprit, à la cruauté envers les animaux et les enfants, aux agressions sexuelles, à un homme battant une femme, à la trahison, aux mensonges qui privent l’autre de sa confiance ». Dans ces cas-là, craignez-les.
Nicolas Fanuel

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