Trois saisons en enfer

Rabie, Mohammad ; traduit de l’arabe (Egypte) par Frédéric Lagrange
Science-fiction
Arles : Sindbad / Actes sud, 2021, 349 pages, 22.80 €

🙂 Dystopie cruelle pour cœur bien accroché

2025. Au Caire, la rive orientale du Nil est occupée par les forces armées d’une improbable république des Chevaliers de Malte, tandis que la résistance s’organise dans Le Caire-Ouest sous l’égide d’officiers de police désireux de venger leur humiliation de 2011. Le colonel Ahmed Otared, posté en sniper au sommet de la tour du Caire, vise les chefs de l’armée ennemie. Envoyé en mission d’infiltration en zone occupée, il découvre la situation proprement infernale du centre-ville, où les habitants volent, violent, se prostituent, se droguent, s’entretuent et se suicident en masse. Ses chefs sont convaincus que les Égyptiens sont responsables de leur malheur et que davantage de sang doit couler pour les sortir de leur ignoble passivité…
Trois saisons en enfer est la dystopie la plus violente et la plus désespérée de tous les romans inspirés par l’échec du “Printemps arabe”. Elle nous dit que l’enfer est sur terre et non dans l’au-delà. Plongé dès les premières pages dans un cauchemar où les scènes de tueries et de violences sexuelles s’enchaînent sans répit, le lecteur reste fasciné par l’âpreté de la narration, l’imagination à la fois torturée et débridée de l’auteur, et la poésie qui naît inopinément de toute cette effrayante noirceur.(présentation de l’éditeur)
Collection éclectique
Avec déjà près de 8 ans au compteur, la collection « exofictions » des éditions Actes Sud continue son exploration des littératures de l’imaginaire dans toutes leur diversité. Loin de s’intéresser presque exclusivement aux auteurs anglo-saxons, comme c’est trop souvent le cas en littérature de genre, la collection nous a déjà permis de découvrir des auteurs chinois, scandinaves, russes, mexicains ou encore hongrois. C’est aujourd’hui un auteur égyptien que la collection met à l’honneur avec la publication de Trois saisons en enfer. Troisième roman de Mohammad Rabie, paru initialement en 2014, il est pour la première fois disponible en français. Âmes sensibles, s’abstenir !
Voyage au bout de l’enfer
Inutile de bien maîtriser les enjeux politiques et sociaux qui agitent l’Égypte pour comprendre le propos de Mohammad Rabie tans sa simplicité n’a d’égale que sa noirceur : le monde est horrible, l’espoir n’existe plus et l’Égypte, au bord du gouffre, ne manquera pas de sombrer bel et bien dans une immense orgie de violence et de cruauté. S’il se déroule sur trois temporalités expliquant les raisons de la situation catastrophique dans laquelle le pays se trouve en 2025, le roman apparaît avant tout comme une grande exploration nihiliste de la cruauté humaine. Une cruauté qui dépasse largement les frontières de cette Égypte post-Printemps arabe. Et c’est peu dire que l’auteur jette un regard noir sur notre humanité. Voyage digne des neufs cercles de l’enfer de Dante, aucune forme de violence ne sera épargnée au lecteur : viols, meurtres, tortures d’hommes, de femmes, de vieillards ou d’enfants, tout est exploré avec une certaine fascination pour le macabre qui confine à l’obsession.
Une Égypte traumatisée
C’est là l’intérêt, et les limites très visibles, du roman. Car passé le choc premier, celui-ci s’enfonce progressivement dans une répétition de l’horreur qui parait, au fil de la lecture, de plus en plus gratuite tant le message nihiliste, au demeurant assez facile à saisir, est répété ad nauseam tout au long des quelques 350 pages du récit. Certes, pour un lecteur occidental qui a peut-être suivi ces événements de loin, le roman a le mérite de mettre en lumière d’une manière assez effrayante l’état d’esprit d’une certaine population égyptienne qui semble particulièrement déçue et désabusée face à la tournure que leur pays a pris après la Révolution égyptienne. Cependant, le roman se complaît dans une horreur qui ne manquera pas de rebuter une partie du lectorat.
Un roman à réserver au plus endurcis
Expérience étrange, éprouvante et parfois pénible, Trois saisons en enfer est assurément un roman à réserver aux amateurs de récits extrêmes. Exploration sans concession de la part la plus noire de notre humanité, il finit par s’engluer dans ces propres obsessions et souffre de longueurs qui, malheureusement, déforcent son propos. De la fascination au dégoût, les réactions des lecteurs seront assurément contrastées. Quoi qu’il en soit, soyez prévenu, c’est une lecture marquante dont certaines images risquent de vous hanter pour un bon moment.
Nicolas Stetenfeld

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