Le corps d’une fillette est retrouvé sans vie, plusieurs semaines après sa disparition. Les battues effectuées par les habitants du quartier noir n’avaient mené à rien. Quant à la police…eh bien quoi ? A Birmingham, Alabama, 1963, les autorités ne s’inquiètent guère pour une gamine de couleur. Mais d’autres disparitions secouent la communauté noire, qui se voit fort dépourvue.
Adela s’inquiète elle aussi pour les familles concernées. Elle nettoie de belles maisons, pour des patronnes blanches. Lorsque l’une d’elles la licencie pour un motif soi-disant scandaleux, Adela est envoyée pour un travail chez Bud Larkin, qui a visiblement besoin d’une femme de ménage.
Bud est un ancien flic, accusé d’avoir tué son collègue alors qu’il était saoul. Par désœuvrement il est devenu détective, en mal de clientèle et de sobriété. Lorsque les époux Rodgers viennent le voir pour retrouver leur petite Dee Dee qui a disparu, Bud n’imagine pas qu’il va révolutionner Birmingham en compagnie d’Adela.
Une période charnière des États-Unis
Pour leur premier roman, Ludovic Manchette et Christian Niemiec, traducteurs de leur état, n’ont pas choisi l’année 1963 par hasard. La ségrégation raciale et le KKK font rage dans le Sud des Etats-Unis, mais les choses sont en train de changer, imperceptiblement. La Marche de Washington connaît un franc succès et réunit des personnalités blanches et de couleur ; JFK et Martin Luther King prononcent leur célèbre discours sur l’égalité des races…avant de connaître le destin que l’on sait. Une image frappe les esprits : deux Noirs portent le cercueil du président assassiné.
La radio se fait le relais de ces nouvelles qui provoquent tour à tour espoir et désolation à la communauté noire. A l‘instar de Bud et d’Adela, un duo improbable dans cette poudrière.
Duo d’enquêteurs que tout oppose
Imagine-t-on un détective blanc, alcoolique et raciste, emmener dans sa voiture une femme de couleur pour aller interroger d’éventuels témoins ?
Les auteurs, fans de séries et films américains, ont eu la bonne idée d’évoquer une période sombre des États-Unis(qui n’est hélas pas tout à fait révolue) avec humour et tendresse. Car on a souvent envie de rire, tellement la ségrégation raciale crée des situations ubuesques: prendre le bus « ensemble » mais devoir continuer une conversation en descendant puisque l’un se trouvait assis à l’avant et l’autre debout dans la zone réservée aux Noirs. Le sommet de l’absurde revient à cette nouvelle habitante, blanche, se rendant dans la laverie réservée aux Noirs car il est indiqué « Colored only », ce qu’elle interprète avec une candeur non feinte comme étant la couleur du linge.
L’écriture des deux auteurs roule à l’économie, et gagne en fluidité. Les dialogues sont brefs et efficaces. Leur roman se dévore presque.
Bud, dans son style bougon et haut en couleurs (tout jeu de mots perçu ici est fortuit), est touchant dans sa fragilité. Et intelligent, quand il n’a pas l’esprit trop embué. Quant à Adela, courageuse et insoumise, elle constitue une figure forte du roman. Chacun va s’apprivoiser, et grandir ensemble pour bâtir un monde meilleur. C’est là la grande réussite du roman, qui mélange volontiers les genres.
Ludovic Manchette et Christian Niemiec pêchent sans doute un peu par « excès documentaire », comme avec ce personnage ayant on ne sait plus quel lien avec Rosa Parks, évoquée comme un placement de produit. La révélation du coupable est brutale, en vue de préparer le dénouement. On aurait apprécié que l’intrigue soit plus émaillée de courts passages adoptant le point de vue du tueur, ce qui aurait apporté une tension dramatique supplémentaire, une fin mieux amenée, et des motivations plus claires.
Mais « Alabama 1963 », paru alors que la société américaine connaît de nouveaux remous, défile sous nos yeux avec un plaisir réel.