Le magicien d’Auschwitz

Dos Santos, J.R.; traduit du portugais par Adelino Pereira
Roman historique
Paris : Hervé Chopin, 2021, 443 pages, 22 €

🙂 🙂 🙂 Pyjamas rayés

Occultisme

La famille Levin avait cru trouver refuge en quittant l’Allemagne nazie pour la Tchécoslovaquie mais voilà à présent le pays sous la botte d’Hitler. Les privations et les brimades deviennent monnaie quotidienne pour les juifs et si Herbert Levin, prestidigitateur de profession, parvient à communiquer plus ou moins cordialement avec les représentants de l’ennemi qu’il rencontre parfois à la fin de ses spectacles, c’est d’une part grâce à son pseudonyme, Nivelli, qui cache quelque peu son origine et par le fait qu’il a appris à les caresser dans le sens du poil, en abondant dans leur sens sur les questions du paranormal et du mysticisme.
Des rumeurs insistantes font état de déplacements de populations juives. Et, de fait, lorsqu’un haut gradé nazi est assassiné à Prague, tous les résidents porteurs d’une étoile jaune sur leurs vêtements sont emmenés en trains réguliers vers Theresienstadt, une ville forteresse aux mains des Allemands. Personne ne veut croire à l’ampleur alarmante des propos colportés, qui affirment que les juifs sont soumis à un travail éreintant dans des camps de concentration.
Levin et sa famille n’échappent pas aux rafles et se retrouvent donc enfermés dans un ghetto, observant le départ de bon nombre de personnes pour un endroit situé encore plus à l’est, en Pologne pour être précis.
Dans le même temps, Francisco, un portugais, s’est engagé aux côtés de l’Espagne franquiste, à la solde d’Hitler. C’est un ancien combattant de la guerre civile en Espagne et il voit dans le fait de porter allégeance au nazisme une occasion de damer le pion aux Russes qu’il tient pour responsables du bain de sang ibérique de 1936. Bientôt, il se retrouve sur le front russe, à Léningrad où il parvient à survivre malgré des conditions extrêmes (les affres de la guerre se cumulant à ceux du froid et de la faim). Ce qui lui vaut d’attirer l’attention de hauts militaires qui lui proposent un poste de garde supérieur dans le Kaztet le plus important de Pologne : Auschwitz. Il refuse dans un premier temps mais est poussé à un enrôlement forcé lorsqu’il apprend que Tanya, une femme rencontrée en Russie, a été emprisonnée avec ses sœurs – des travailleuses du sexe prétendument identifiées comme juives – et emmenées dans ce camp de sinistre réputation.
La prise de fonction de Francisco va coïncider avec l’arrivée à Auschwitz de Herbert et des siens. Là, l’un comme l’autre vont expérimenter l’horreur nazie dans toutes ses acceptions.

La théorie au service du roman

José Rodriguès Dos Santos est surtout connu pour la série de romans ésotériques mettant en vedette le cryptologue Tomas Noronha. Citons, parmi les plus célèbres titres “La Formule de Dieu”, “L’ultime secret du Christ” ou “Signe de vie”. Ses récits foisonnants sont toujours l’occasion pour l’auteur, par ailleurs journaliste, reporter de guerre et présentateur du journal de 20h au Portugal, d’exposer des théories scientifiques, historiques ou religieuses, sujetes à polémiques, au travers d’histoires aventureuses à souhait. Pour avoir lu plusieurs tomes de la série Noronha, j’appréhendais quelque peu la découverte de ce roman à part, aux consonances biographiques et historiques car je craignais d’y retrouver la tendance intellectualiste de l’auteur, de celles qui vous font sentir que vous n’avez pas les neurones suffisants pour appréhender tous les éléments ressortant de l’épistémologie évoqués par l’auteur. Rien de tel heureusement ici, même si les données théoriques sur le nazisme, sa philosophie, l’organisation des camps, l’implication des Russes, des Espagnols et des Portugais dans la guerre civile franquiste et jusqu’aux rouages de la prestidigitation sont légion.
Ainsi, on apprend les liens mystiques des nazis avec la magie, noire ou blanche, mais aussi avec les Atlantes et les idées fumeuses d’Alastair Crowley, auréolant la figure du Fürher d’une résonance messianique.
On met le doigt sur les incohérences historiques, religieuses ou sociales réservant aux Aryens un statut d’hommes supérieurs.
On observe tout le mépris et la déshumanisation appliqués au peuple juif, au quotidien comme à l’intérieur des camps.

Un terreau connu

La Shoah interpelle tout un chacun. Les livres sur le sujet rempliraient toute une bibliothèque publique. L’argument qui décrit l’ouvrage de Dos Santos comme différent de tout ce qu’on a pu déjà lire est quelque peu fallacieux. Toute personne intéressée par cette période sombre de l’histoire du XX° siècle bénéficie déjà d’un éclairage éminent et objectif. Je n’ai pas trouvé dans “Le Magicien d’Auschwitz” de nouvelles données propres à bouleverser les connaissances engrangées par ailleurs (il est vrai que j’ai lu “Des voix sous la cendres” (1) qui recueille des témoignages de première main émanant de prisonniers des camps et dont l’auteur s’inspire peu ou prou). A moins que l’inédit historique soit concentré sur le deuxième volume de cette histoire, à paraître en octobre.
La lecture de l’ouvrage reste éprouvante et addictive. Depuis le début et jusqu’au dernier tiers du roman (qui voit l’arrivée des protagonistes à Auschwitz même), l’auteur aura manié la tension dramatique, l’aventure et l’expression des passions d’éclatante manière. Mais, par rapport aux romans mainstream de Dos Santos, on sent ici une langue plus académique, une construction syntaxique moins recherchée. Peut-être est-ce là un effet de la traduction ? Qu’on ne s’y trompe cependant pas : ce livre ne se destine pas aux adolescents en dessous de 15 ans.
A côté de l’intrigue bicéphale (on suit à tour de chapitre une partie de l’histoire de la famille Levin puis une partie de celle de Francisco), l’auteur pose également quelques questions déconcertantes, auxquelles ni l’histoire, la sociologie ou la religion ne semblent à même de répondre (2) : comment le peuple juif a-t-il pu rester si passif devant son inéluctable destin (les prisonniers juifs étaient menés à la mort par leurs propres congénères !) ? Comment les alliés ne se sont-ils jamais demandés ce qu’était cette flamme énorme au-dessus d’Auschwitz, qui se voyait à des kilomètres à la ronde ? Comment un peuple sensément évolué a-t-il pu orchestrer un génocide si cruel, justifié de façon biaisée par une philosophie obscurantiste ?
C’est toute la théorie de la grenouille plongée dans une marmite d’eau placée sur le feu qui se laissera cuire sans réagir…Il faut avoir vécu l’époque en Allemagne, avoir subi la crise économique intense et l’humiliation de la Première Guerre mondiale pour, non pas comprendre et excuser, mais entrevoir les circonstances de l’émergence du drame humain le plus mortel du XX° siècle.
Le deuxième volume constitue déjà une lecture obligée. Dont je ne manquerai pas de vous parler.
  1. LGF, 2006
     (2) si ce n’est dans l’excellent ouvrage “Auriez-vous crié Heil Hitler” de François Roux (Max Milo, 2011)
Éric Albert

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