American elsewhere

Bennett, Robert Jackson ; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laurent Philibert-Caillat
Fantastique
Paris : Albin Michel, 2018, 700 pages, 29 € (Collection « Imaginaire »)

🙂 🙂 🙂 Matriarchie

Dans la petite bourgade de Wink, qui ne figure sur aucune carte, tout semble figé, propret. Une commune idéale si ce n’était l’étrange lune orange qui pare le ciel, le comportement bizarre de certains résidents, l’isolement (car personne n’entre ni de sort de Wink) et surtout cet ancien laboratoire, sur une colline, qui semble avoir connu un drame suffisamment malaisant pour justifier un abandon aussi subit que caché.

Mona Bright arrive à Wink pour prendre possession de la maison que lui a légué son père. Mais c’est surtout à la recherche d’informations sur sa mère, Laura Alvarez, que cette ex-flic déprimée s’est lancée, après avoir retrouvé dans un garde-meuble des photos témoignant d’un passé joyeux et prometteur, aux antipodes des tensions et des tragédies (dont le suicide de sa mère) qu’elle garde en mémoire.

Or, sur place, personne ne se souvient de Laura Alvarez.

Intriguée par le laboratoire sur la Mesa, et guidée par un habitant qui semble en savoir beaucoup plus que ce qu’il veut (peut) dire, Mona découvre peu à peu, au travers de phénomènes à caractère surnaturel, la nature des travaux qui y était réalisées. Il s’agissait d’étudier la perméabilité de la réalité, de tenter d’accéder à des univers parallèles par le biais d’une mystérieuse lentille. Non seulement Mona apprend que sa mère a été employée de ce laboratoire mais qu’elle a également été responsable de sa subite déliquescence.

Dans cet univers confiné par des barrières invisibles infranchissables, où le temps s’écoule différemment, où des réalités semblent coexister, où, dans les forêts sombres, se cachent des créatures qu’il ne faut surtout pas déranger, où il ne faut, au grand jamais, ni sortir la nuit, ni tenter de faire du mal à ses semblables, les repères de Mona s’étiolent. Elle devient aussi la proie de poursuivants, bien décidés à mener son existence à son terme afin de sauvegarder certains secrets bien trop enterrés jusque-là.

Pourquoi Mona suscite-t-elle la méfiance ? Pourquoi ressent-elle une connexion viscérale avec le patelin ? Et comment expliquer ces éclairs tonitruants qui déchirent le ciel ? Que s’est-il passé lors de la Grande Tempête, il y a 30 ans qui a bouleversé la vie des habitants ? Pourquoi les résidents ont-ils au fond des yeux ces filaments noirs ? Sont-ils seulement humains ?

 

Robert Jackson Bennett est un fin connaisseur de King (Wink est autant propre à l’auteur que ne l’est Castle Rock ou Derry à King), de Koontz (un des thèmes du livre est la manipulation scientifique), de Neil Gaiman (les réalités entremêlées) mais surtout du grand Howard Philip Lovecraft. « American Elsewhere »résonne comme un hommage au Maître de Providence, exploitant la peur indicible, la mouvance des réels et l’intrusion de créatures que n’aurait pas renié Nyarlathotep.

Subtil mélange de fantastique contemporain, de science-fiction débridée et de fantasy, baigné de scènes gore et de merveilleux, électrisé par des éléments issus d’une moralité perverse, ce roman de près de 800 pages constitue une expérience de lecture éprouvante tant l’addiction se révèle prégnante.

Le seul reproche que l’on pourrait adresser à l’auteur c’est la facilité avec laquelle Mona prend connaissance des mystères et des révélations locales. De la complaisance de citoyens trop bavards à la découverte de comptes-rendus scientifiques, tout élément porteur de l’intrigue est servi sur un plateau, à un moment ou à un autre. Bien entendu, au terme du roman, on comprend la légitimité de Mona à entrer dans le secret des résidents de Wink, et cela adoucit quelque peu le constat.

« American Elsewhere »fait déjà honneur au catalogue de la collection « Imaginaire » qu’ont lancé récemment les éditions Albin Michel. Même si ce pavé plaira davantage aux amateurs aguerris du genre (le texte est truffé de références littéraires diverses), il illustre à merveille ce que l’imagination des plus grands auteurs peut offrir. La générosité est ici évidente.

 

Eric Albert

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