L’abominable

Simmons, Dan; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cécile Arnaud
Aventure
Paris : Robert Laffont, 2019, 660 pages, 23 €

🙂 🙂 La petite peur dans la montagne

En 1924, une expédition anglaise s’attaqua à l’Everest. À sa tête, deux alpinistes anglais chevronnés, George Mallory et Sandy Irvine. On ne revit jamais ces deux-là vivants : leur photographe, Noel Odell, dit les avoir aperçus une dernière fois le 8 juin, escaladant la crête nord. C’est sur cette tragédie que Dan Simmons base son dernier roman, « L’abominable », un pavé de 650 pages qui rappelle, aussi bien par sa thématique, le cadre de son action et son ampleur, son célèbre « Terreur » (2007).

Longs préparatifs

Or donc, la grande histoire de l’alpinisme ne l’a pas retenu, mais un autre anglais, Lord Percival Bromley, suivait de près Mallory et Irvine, et il disparut dans des circonstances tout aussi étranges. C’est afin d’éclaircir cette disparition, de tenter de retrouver son corps et, accessoirement de tenter une nouvelle conquête de l’Everest, que trois alpinistes (un anglais, Richard Deacon, un français, Jean-Claude Clairoux et un américain, Jake Perry) se mettent en route en 1925. Ceux-ci seront rapidement rejoint par Reggie Bromley, une cousine de Percival, elle-même accompagnée du docteur Pasang. Les embûches seront nombreuses sur la route du quintette d’alpinistes et l’ascension se révèlera une épreuve encore pire que ce que chacun d’eux avait pu anticiper.
Car anticiper, ils le firent. Deacon avait fait partie d’une précédente tentative de conquête de l’Everest, qui avait avorté en 1922. Mais lui et son équipe de l’époque avaient atteint de telles hauteurs qu’il savait à quoi s’attendre et qu’il pouvait, en connaissance de cause, mettre Perry et Clairoux en garde et les préparer à la terrible ascension. C’est ainsi qu’un très large prélude à l’action proprement dite du roman est consacré à la préparation à l’escalade de la fameuse montagne tibétaine. Durant de nombreuses pages, nous suivons donc le trio dans ses entraînements et dans ses recherches du meilleur équipement possible. Même si ces préparatifs sont ponctués de rencontres avec d’autres alpinistes, avec la mère de Percival ou avec des concurrents allemands, nazis de surcroit, ces pages pourraient bien décourager certains tant le souci d’authenticité de Simmons confine à l’extrême. Pourtant, aussi longues soient-elles parfois, ces pages ne sont pas innocentes dans la progression du récit : à chaque rencontre, à chaque entraînement ou souvenir d’escalade évoqué, ce sont autant de mise en garde plus lugubres les unes que les autres qui sont assénées aux trois hommes. Parmi les dangers évoqués figure déjà le Metohkangmi, le fameux yéti, l’abominable qui donne son titre au livre, et auquel Percival semblait s’intéresser. À l’image de l’ascension qu’il raconte, le roman se construit finalement lui aussi comme une longue montée et cette partie de préparation n’en est que le prélude logique, ces moments où l’équipe d’alpinistes, parcourant les plaines au pied de la montagne, n’éprouve pas encore réellement le danger qui l’attend.

L’abominable qui fait pschiiiit

Car danger il y a, et Simmons s’entend, à coups d’exemples frappants et de descriptions médicales parfaitement claires, à nous le faire ressentir dans notre chair de lecteur. Comme il le raconta dans « Terreur », les effets du froid sur le corps humain sont effroyables et, conjugués ici à ceux de l’altitude (« C’est notre corps qui commence à mourir quand il s’approche des 8000 mètres d’altitude »), ils constituent LE vrai péril pour chacun des alpinistes. Quant à l’autre, l’abominable, c’est bien à son niveau que réside la plus grande faiblesse du roman. Là où « Terreur » arrivait à nous communiquer la trouille des personnages mieux que si une intraveineuse nous avait reliés à eux, « L’abominable » fait, à cet égard en tous cas, pschiiiit quelques pages après la première apparition du yéti et nous sert une version du personnage qui nous a paru pour le moins artificielle si pas parfaitement incongrue.

Un bon roman d’aventure

Mais soyons de bon compte : au-delà de cette déception, le roman fourmille de moments épatants où l’amitié et la fraternité se voient transcendés, de situations originales où les préjugés hommes-femmes, après avoir été exposés, se voient démontés de manière réjouissante, d’instants de pure bravoure humaine et même de quelques pointes d’humour salvatrices. Au-delà, le soin apporté au cadre historique et sociétal de l’époque doit également être souligné : que ce soit au niveau de la montée du nazisme ou de la situation de la bourgeoisie anglaise par exemple, Simmons, loin d’en faire des tonnes dans le pédagogique, s’entend au contraire à donner à l’ensemble une vraisemblance bienvenue et qui contrebalance avec justesse le faux pas concernant le yéti. Présenté comme un récit fantastique, « L’abominable » s’imposera plutôt comme un ample roman d’aventure et devrait ravir les amateurs d’épopée montagnarde.
Nicolas Fanuel

3 Commentaires. Leave new

  • J’avoue avoir abandonné, saoulé par les descriptions et la lenteur des 116 premières pages. Mais à la lumière de la critique ci-dessus (le chroniqueur à lu tout le roman et c’est tout à son honneur), j’ai bien envie de reprendre l’ascension… Bravo.

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  • Très bon livre ,prenant dommage qu il n n’y ait pas de suite
    Le Diacre a t t’il vraiment existé ???

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