Mon chien stupide

Fante, John; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent; lu par Thibault de Montalembert
Livre audio
Paris : Lizzie, 2019, 1 cd audio MP3, 18 €

🙂 🙂 Le chienchien à son pépère

Déjà un classique

On ne présente plus John Fante. Ou bien, il y a urgence à (re)découvrir l’oeuvre sensible et sans concessions de cet auteur aujourd’hui disparu mais dont les écrits font l’objet de constantes rééditions et adaptations (1).
Parmi ses plus célèbres romans figure ce « Mon chien stupide », sorte de fable familiale amère et judicieusement piquante mettant en scène un écrivain et scénariste raté qui voit malgré lui – et aussi parce que c’est dans la normalité des choses – l’univers intime qu’il a patiemment bâti avec son épouse autour de ses quatre enfants se déliter au hasard de faits de vie qui ne cadrent pas forcément avec l’idéal auquel il aspirait.
Entre un fils africanophile, un autre qui cherche à tout prix à fuir ses responsabilités et ses devoirs de citoyen, sans compter une fille pique-assiette dont les fréquentations amoureuses ne laissent présager rien de bon, le pauvre Molise rêve de s’envoler pour Rome, abandonnant sans véritable remords une épouse devenue acariâtre et avec laquelle il ne partage plus guère que le goût pour la bouteille. Jusqu’au jour où il découvre dans son jardin, trempé et affamé, un énorme Akita qui s’impose sans vergogne dans son existence tourmentée et finit par bouleverser tout de fond en comble.

Roman noir et corrosif

Personne ne voit d’un bon œil l’irruption de cette tornade sale et poilue mais la tentative de s’en débarrasser en le perdant sur la plage échoue. Le chien, que Molise a appelé Stupide, se révèle être un mâle alpha pervers en quête incessante d’un partenaire improbable (avec une préférence pour les jambes humaines…). Il est diablement attachant et permet à Molise de retrouver un semblant de stabilité, en lui rappelant sans cesse Rocco, le bull terrier tragiquement disparu des années auparavant auquel il était maladivement attaché. Mais un jour, aussi subitement qu’il était apparu, Stupide disparaît. S’ensuit une vaste recherche pour retrouver cet être, qui d’indésirable, est devenu le ciment de la famille.
Même si l’histoire en elle-même s’avère plaisante, on ne saurait faire fi de la critique sociale qui en sourde (chômage, ingratitude de la jeunesse, bêtise et cupidité humaine, éclatement familial et sentiments émoussés, affres de l’art d’écrire et ironie du sort). Les personnages, excessifs et caricaturaux, font merveilleusement écho à l’humour cynique mais lucide de l’auteur. Plusieurs fois on se surprend à éclater de rire tant les situations ou la résonance universelle de certains aléas de vie font mouche.
La langue, familière sans jamais verser dans le vulgaire, participe également à l’atmosphère du roman.

Une lecture dynamique

J’aime écouter des audio-livres, à la faveur de mes déplacements en voiture. Je peux donc témoigner de la grande qualité de la lecture effectuée par Thibault de Montalembert. Son timbre de voix, posé, profond et sa diction irréprochable rehaussent davantage l’intensité, le cynisme et l’inéluctabilité du récit qu’il oralise.
Mine de rien, il s’agit d’un art à part entière de passer d’un texte écrit à une récitation policée et rendue vivante par la voix. L’écueil peut vite survenir (et j’aurais l’occasion d’y revenir à l’occasion d’une autre chronique) mais ici, aucun doute n’est permis sur le fait que nous avons affaire à un professionnel aguerri qui a réussi à s’approprier entièrement l’oeuvre de Fante. Qui fait quasi corps avec celle-ci. C’est ce qu’on appelle de la belle ouvrage.

(1) une adaptation cinématographique du présent livre a récemment été réalisée par Yvan Attal avec Charlotte Gainsbourg. La sortie est prévue le 30 octobre.

Eric Albert

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