Le siffleur de nuit

Woodland, Greg ; traduit de l’anglais (Australie) par Anne-Laure Tissut
Policier & Thriller
Paris : Belfond, 2022, 398 pages, 21 €

🙂 🙂 Are you lonesome tonight ?

Moorabool, archétype du bled perdu dans le bush australien. Y vivre serait une forme de punition. Précisément le statut de Mick Goodenough, un flic plutôt capable du temps où il chassait les criminels à Sydney, mais relégué là « en probation », sous les ordres d’un chef fainéant et stupide et entouré de collègues du même acabit.
Alors qu’il croit ne jamais devoir sortir d’une suite de tâches basiques -PV et conflits de voisinage- il met au jour une succession d’évènements du même type : des animaux signalés disparus puis retrouvés morts et mutilés.
Simultanément, Hal, un gamin de douze ans, voit sa mère devenir de plus en plus nerveuse, au fil de mystérieux coups de téléphone reçus en soirée. Alors qu’il décroche un soir avant elle, il n’entend qu’une mélodie, un vieux tube du King, sifflée par un inconnu qui raccroche quelques instants plus tard.

Quelque chose de moche se noue en ville

Premier roman pour Greg Woodland, « Le siffleur de nuit » -dont l’intrigue est située à la fin des années ’60- n’accroche pas directement qui s’y aventure. Pas de suspense insoutenable, pas de cliffhanger systématique et encore moins de chapitres courts, nerveux et de style incisif censé nous tenir en haleine. Et pourtant, passé quelques pages, un charme indéfinissable opère indubitablement et l’on prend plaisir à suivre le quotidien des deux personnages principaux. Celui de Mick, le policier, persuadé que quelque chose de moche se noue en ville, et celui de Hal, le gamin de plus en plus inquiet pour sa mère. Leurs chemins se croiseront assez rapidement bien sûr, mais sans effet de manche, en toute logique, crédibilité en plein.

Un roman policier à contre-courant

Si l’ombre du tueur en série plane à quelques encablures, Woodland situe ailleurs son propos : le voici affecté par la sauvagerie avec laquelle un humain s’en prend à plus faible que lui, lorsque Mick retrouve le cadavre de son propre chien disparu quelques heures plus tôt : « Charlie, murmura-t-il à l’oreille encroûté de sang, mais qu’est-ce qu’on t’a fait ? ». Dégoûté par l’imbécillité de certains collègues, arrogants, sexistes et fiers de leurs petits pouvoirs. Effrayé qu’encore une fois la frustration masculine se déchaine sur les femmes. Plein de certitudes aussi qu’après les animaux, des humains se retrouveront en cœur de cible. En quelques mots, en une succession à priori banale de scènes de vie de famille ou de réunions entre amis ou collègues, Woodland, tel un Simenon du bush, plonge aux racines de ce mal diffus : l’ennui des petites villes isolées et accablées de chaleur et le poids des relations sociales calibrées. La ségrégation larvée entre les australiens blancs et les descendants d’aborigènes et les magouilles politico-urbanistiques d’une clique de parvenus constituent ainsi la toile de fond d’un roman policier résolument à contre-courant, privilégiant les relations humaines à l’action, les personnages denses et les situations qui s’installent avec lenteur au déferlement d’hémoglobine tous les trois chapitres. Conseillé !
Nicolas Fanuel

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