Poursuite

Oates, Joyce Carol ; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Auché
Littérature générale
Paris : Points, 2022, 224 pages, 7,40 €

🙂 🙂 Histoire d'os

En terrain connu

Je ne vais pas vous faire l’injure de vous expliquer qui est Joyce Carol Oates. En tant qu’amateur de littérature américaine et à moins d’avoir vécu dans un cocon de privation ces quarante dernières années, aucun de vous n’a pu manquer de croiser cette romancière totale, ce monstre de productivité, cette grande dame pourfendeuse des grands sujets de société à la lumière d’un certain féminisme.
Oates construit son œuvre (titanesque) en alternant les grandes sagas familiales ou sociétales avec des romans beaucoup plus courts, plus directs, au cadre nécessairement moins brossé en profondeur. L’essentiel, ici, c’est la psychologie des personnages – à (presque) chaque coup des femmes – et la description des aléas de la vie qui les plongent dans un marasme douloureux, souvent au péril de leur vie.

Lorsque vie et douleur se confondent

« Poursuite » conjugue allégrement sa brièveté avec une bonne dose de violences : familiale, relationnelle, guerrière, religieuse, perverse et même routière (avec ce bus qui renverse une des protagonistes du récit). L’histoire est sombre, dérangeante et glisse peu à peu vers une horreur que l’on ressent au fond de ses tripes.
On y suit un couple, récemment marié et apparemment tout à leur bonheur (même si la religion et les traditions inhérentes à celle-ci parasitent ça et là le bleu du ciel conjugal). Suite à l’accident évoqué ci-dessus, l’épouse, Gabriella (Abby), est sujette à des cauchemars traumatisants, traces névrotiques d’une enfance malmenée. Elle revoit sans cesse l’image de deux squelettes enchaînés par une paire de menottes, au bord d’une rivière aux rives verdoyantes.
Afin de sortir sa femme du carcan comateux où elle semble s’être réfugiée, son mari, Willem, sait qu’il va devoir convoquer la jeunesse de son aimée afin de tenter d’y trouver une catharsis.
L’histoire que nous offre alors la romancière américaine se révèle une fois de plus terriblement humaine, dramatiquement méandreuse, psychologiquement éprouvante. La jeune Abby, alors prénommée Mirmie, a vécu son enfance le cul entre deux chaises entre Nicola, sa mère aimante et surprotectrice et Lew, son père fantasmé qui, revenu blessé d’Irak, va tomber dans une paranoïa meurtrière. Convaincu que son épouse l’a trompé durant son absence sous les drapeaux, Lew cherche à s’approprier sa fille. Mais c’est à une torture éternelle qu’il va condamner sa femme…

Inexorabilité

Le texte, pour direct dans ses propos, bénéficie comme à chaque fois d’une construction élaborée qui, en semant le doute sur « les qui »et « les quoi » de manière assumée rend à merveille l’état de chaos mental dans lequel les protagonistes pataugent. Visions, réminiscences, images choquantes, pensées morbides, manipulations psychologiques,…tout concourt à la survenue du drame mortifère.
Miriam-Gabriella ne saurait trouver un équilibre de vie en portant sur ses épaules tout le poids du marasme qui l’étreint, la submerge, au point de lui donner l’impulsion du suicide.
On dit que toutes les histoires ont déjà été racontées depuis que la littérature existe et que c’est la façon de les construire et les exposer qui donne à certaines une valeur particulière. Rien de plus vrai ici. Hasard de l’inspiration, une scène (centrale, maîtresse, essor du récit) où la petite fille, apeurée et subjuguée avoue à son père que sa maman ne s’est peut-être pas montrée aussi fidèle qu’il aurait fallu (aveu portant le sceau du mensonge, soutiré par la menace), se retrouve, presque identique dans la bande dessinée « Monstres » de Barry Windsor-Smith (Delcourt).
Petit livre mais nouvelle grande réussite de Joyce Carol Oates, « Poursuite » est à conseiller toute affaire cessante aux lecteurs qui ne connaîtraient pas encore l’auteure.
Éric Albert

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