Amours fragiles : tome 8 : le pacte

Richelle, Philippe (scénario) ; Beuriot, Jean-Michel (dessin)
Bande dessinée
Bruxelles : Casterman, 2023, 56 pages, 15,95 €

🙂 🙂 🙂 Les coulisses de la guerre

Depuis 2010 et en 8 tomes jusqu’ici, « Amours fragiles » nous propose une histoire de la Seconde Guerre mondiale vue au travers des yeux de Martin Mahner, un jeune étudiant allemand qui, en 1932, assiste à la montée du nazisme et dont nous suivrons le parcours jusqu’à la fin de la Guerre. Mahner est un personnage emblématique de cette importante part de la population allemande qui n’adhérait pas aux thèses hitlériennes et qui, face à la brutalité affichée dès le début par les Nazis et par crainte des représailles, ne s’opposa pas franchement à toutes les horreurs qui en ont découlé, optant plutôt pour une passivité, un refus poli d’en faire plus que le strict minimum et, lorsque c’était possible, en venant en aide aux Juifs ou aux résistants français. Lorsque nous l’avions quitté, à la fin du tome 7, il fuyait les sbires du régime, persuadé qu’il était d’avoir été identifié comme un des protagonistes de l’attentat manqué contre Hitler. En fait, Martin a été lavé de tout soupçon par la Gestapo dans cette affaire, mais il ne le sait pas. Il trouve refuge dans la banlieue berlinoise, à Beelitz, dans la demeure de la famille de son ami Fredi, capturé quant à lui pour sa participation active à l’attentat. S’il est bien accueilli par Hilda, la jeune sœur de Fredi, il devra se cacher lorsque l’autre sœur, Margrit, accompagnée de son mari, viendra trouver refuge dans la maison familiale pour fuir les bombardements alliés. Franchement pro-régime, le couple est acculé par l’avancée des alliés.

L’agonie du Reich

Avec « Amours fragiles », Beuriot et Richelle nous offrent bien plus qu’un énième récit d’aventures guerrières. En focalisant son intrigue sur des personnages issus du « mauvais camp », Philippe Richelle, le scénariste, dessille le regard. Ses « héros », depuis 2001, se révèlent nuancés et nous les découvrons, contraints par des forces qui les dépassent, évoluant constamment dans leurs opinions, dans leurs actes et leurs réactions. La série regorge de personnages « secondaires » parfaitement crédibles, dénués de tout monolithisme et dont le scénariste prend un malin plaisir à nous les rendre surprenants, car ils échappent très souvent aux prévisions que l’on pouvait établir sur eux. Nous nous reconnaissons dans leurs doutes, leurs petites lâchetés, leurs compromissions, leurs moments de courage et leur volonté, finalement, de se sortir d’événements bigger than life, en ne se reniant pas. Même si l’intrigue montre très clairement les grandes étapes du conflit, elle n’est que très rarement explicite visuellement en termes de combats, de répression physique, de déportation. La violence n’en est pas pour autant expurgée, mais elle n’est pas traitée avec sensationnalisme, ce qui ne la rend que plus glaçante. Dans ce volume placé sous le signe de l’agonie du Reich, le sort funeste réservé à la population allemande qui continuait à résister au régime, et les dérives sanguinaires perpétrées par l’Armée Rouge sur les civils allemands en fuite sont très clairement évoqués.

Une série qui s’apprécie sur la longueur

Aventure commencée il y a plus de vingt ans, « Amours fragiles » continue à nous marquer comme bien peu de séries au long cours y sont arrivées. Si nous avons expliqué à quel point le scénario contribuait à son originalité, il faut également dire ici la force et la beauté du dessin du trop rare Jean-Michel Beuriot. À chaque nouveau volume, il nous semble que son trait s’est encore amélioré, dans le sens où il nous paraît encore plus dénué de tout artifice, chaque case ne contenant que le nécessaire au déroulement et à la bonne compréhension du récit. La beauté du dessin reste bien sûr une question d’appréhension personnelle, mais, entre classicisme revendiqué et quête maîtrisée de modernité, nous restons sous le charme et persuadé qu’on ne trouve que rarement mieux. Malgré le peu de scènes d’action pure, le récit ne manque jamais de nervosité, les cases et les pages défilent sans peine, l’équilibre texte/dessin se révèle parfait et la facilité avec laquelle nous lisons l’état d’esprit des personnages rien qu’en voyant leurs expressions, avant même qu’ils ne s’expriment, révèle le grand talent du dessinateur. Une série qui s’apprécie sur la longueur(oui, il vaut mieux (re)lire les 7 tomes précédents, pourquoi se priver de ce bonheur ?), amateurs d’histoires qui prennent leur temps et qui refusent tout simplisme, ceci est pour vous. La sortie du neuvième et dernier volet est prévue en cette année 2023.
Nicolas Fanuel

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