Ed Gein : autopsie d’un tueur en série

Schechter, Harold & Powell, Eric ; dessiné par Eric Powell; traduction Lucille Calame
Bande dessinée
Paris : Delcourt, 2022, 209 pages, 24,95 €

🙂 🙂 Fascination morbide

C’est un fait connu, les tueurs en série ont toujours fasciné. On ne compte plus les lettres d’amour enflammées reçues par des monstres sanguinaires, de la part d’admiratrices prêtes à tous les sacrifices. La littérature regorge d’études approfondies sur ces figures criminelles emblématiques d’une société malade. Certains s’érigent même en (faux) spécialistes en la matière, inondant le monde médiatique de délires mythomaniaques.
Au-delà de ces faits, il ne fait aucun doute que la fiction policière, le thriller et l’horreur ont trouvé dans l’archétype du tueur en série une matière pétrissable à souhait ouvrant l’accès à une inspiration morbide mais ô combien alléchante pour une population avide de sensations fortes et de terreur domestique.
Ed Gein ne fut peut-être pas le premier serial killer avéré. Ni celui qui a comptabilisé le plus grand nombre de victimes. Mais sa capacité à se fondre dans le commun des mortels et sa perversité insidieuse ont marqué les esprits. La presse américaine n’est évidemment pas étrangère à cet engouement pour une actualité à glacer d’effroi. Le feuilleton Gein a tenu en haleine des millions de lecteurs – et a certainement provoqué chez certains esprits prédisposés l’étincelle meurtrière – et le roman de Robert Bloch, « Psychose », qui s’est directement inspiré du personnage a prolongé la fascination populaire pour l’homme sans morale qui tue sans remords.
Alfred Hitchcock a fait le reste (1).
Gein inspirera également dans les années ‘70 la figure (recouverte d’un masque en peau humaine) de Leatherface, le tueur de « Massacre à la tronçonneuse » et certaines corrélations peuvent être observées avec la personnalité d’un certain Buffalo Bill, l’assassin que traque Clarice Starling dans « Le Silence des Agneaux ».

Dans les yeux de ma mère…

Le roman graphique de Schechter et Powell propose sur deux cents pages en noir et blanc au dessin incisif un retour documenté sur les circonstances qui ont façonné la psychologie torturée de Edward Gein. Il grandit au sein d’une famille où la mère, bigote et castratrice, en fait un mouton suiveur rejeté par ses improbables amis et où le père, subissant la morgue de son épouse, oscille entre la résignation et une violence alcoolique des plus imprévisibles.
La disparition (suspecte) de son père finit de le jeter totalement sous le joug de sa mère et lorsqu’à son tour celle-ci meurt (peu après avoir enterré son premier fils), les pulsions perverses de Edward se développent. Isolé, en proie à des délires névrotiques et à des pulsions sexuelles désaxées, Ed répond peu à peu aux sirènes de sa déviance. Le voilà en train de profaner des sépultures, de conserver des cadavres chez lui, de se confectionner des habits et des masques en peau humaine mais aussi des objets de la vie courante (lampe à abat-jour, chaise avec assise de chair…). Les disparitions inquiétantes se font plus nombreuses mais la police semble piétiner dans sa quête de l’innommable. Suite à des informations glanées çà et là dans la population, des agents en viennent à suspecter Ed Gein dans le cadre de l’affaire Bernice Worden, commerçante locale devenue introuvable. Ce qu’ils découvrent à son domicile est au-delà du supportable. Et le suspect, qui dînait tranquillement chez un voisin, est arrêté.

Exposé journalistique

Si la première partie du roman graphique est tendue et qu’il est bien difficile de quitter tant sa lecture se révèle avide, affamée et entretenue par une chronologie implacable, le dernier tiers de l’ouvrage, qui prend la forme de l’exposé froid des faits du procès, apparaît plus ardu et moins empathique.
Loin d’être inintéressante, cette partie qui comporte beaucoup plus de textes et manque d’action ne gâche cependant absolument pas la pertinence de l’étude à laquelle se sont vouées les auteurs.
Cette plongée dans l’enfer de la psyché humaine reste mémorable, à l’instar de son protagoniste principal.
(1) Il fit d’ailleurs suspendre la diffusion du roman de Bloch afin de préserver le suspens et la révélation finale de son film ; film qui subit la vindicte de la censure parce qu’on y voyait…une femme assise sur une cuvette de WC…(shocking!)
Éric Albert

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