September september

Foote, Shelby ; traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jane Fillon ; traduction révisée par Marie-Caroline Aubert
Policier & Thriller
Paris : Gallimard, 2020, 430 pages, 21 € (Collection La Noire)

🙂 🙂 🙂 Black kidnapping

Plutôt que de viser la grosse affaire, le coup qui pourrait leur rapporter des millions de dollars, le trio avait choisi de se la jouer modeste. Ils n’allaient pas enlever le fils d’une grosse légume et tenter d’empocher le pactole. Non, ils risqueraient trop gros. En 1977 déjà, les médias étaient partout : leur couverture des affaires criminelles importantes était telle qu’elle forçait les poulets à redoubler d’efforts, ce qui n’arrangeait pas les oignons des délinquants. Pourtant, les médias, le trio comptait dessus, mais pour détourner l’attention. Le plus malin des trois, Podjo, avait bien compris que des émeutes raciales allaient intervenir à Little Rock : jamais le gouverneur de l’Arkansas n’allait laisser des gamins noirs fréquenter un lycée blanc. Même si le foutu président des Etats-Unis en personne, avec sa Constitution et ses juristes, lui disait qu’à partir de maintenant, c’était la loi. La foule serait de son côté. Radios, télé et journaux ne parleraient que de ça pendant plusieurs jours. Pendant ce temps-là, Podjo, son pote Rufus et Reeny, la copine de ce dernier, pourraient tranquillement mener leur barque. Eux, les trois bras-cassés blancs allaient enlever le fils d’une famille noire de Memphis, ayant plus ou moins réussi à s’élever socialement. Des gens simples, avec un peu de fric, mais noirs et pas assez célèbres pour que les flics ou les médias y fassent attention. Le bon coup. Enfin, c’est ce qu’ils pensaient.

Un auteur confirmé

Basé sur des faits historiques réels – l’affaire de Little Rock fut un des événements les plus importants de la lutte pour les droits civiques- ce roman de Shelby Foote date de 1977. Ce n’est pas sa première parution en français mais il nous est présenté ici dans une traduction révisée et pour la première fois sous son titre original (une note en préambule en explique toute la richesse, surtout si on la compare aux premiers titres français sous lesquels il parut précédemment). Historien reconnu, auteur de quelques romans noirs, homme du sud, Shelby Foote n’est assurément pas un manchot de l’écriture, la seule lecture de ce roman noir vous en convaincra. On pense immédiatement à Faulkner, mais également à des auteurs de polars plus contemporains, comme Ed McBain. Comme chez eux, son texte s’exempte de tout lyrisme, semble écrit à l’os, ne livrant que l’essentiel, soit des phrases et des pages à la beauté brute et d’apparence sèches, alors qu’elles se révèlent progressivement bourrées d’empathie et dénuées de jugement.

Ségrégation

Foote maîtrise visiblement la situation perpétuellement fragile des Noirs aux États-Unis : tolérés tant qu’ils ne franchissent pas certaines limites assignées par les Blancs, traités comme des sous-hommes quand ils osent s’affirmer en-dehors de celles-ci. La famille Wiggins, cible du trio de kidnappeurs, avait suffisamment réussi. Des Noirs comme il faut, respectueux des Blancs. À leur place. Sauf que Eben, le beau-fils, commençait à se trouver à l’étroit dans ce rôle-là et que les émeutes de Little Rock, ça lui donnait comme un regain de rage et que l’enlèvement de son fils n’allait rien arranger à cet état d’esprit.
Cette connaissance presque sociologique de son sujet, Foote l’allie à un sens aigu de la psychologie. Évitant les archétypes, il arrive à insuffler une profondeur unique, personnelle et cohérente à chacun de ses personnages principaux : le père et la mère de l’enfant enlevé, ses grands-parents et les trois kidnappeurs. Chacun d’eux se révèle progressivement, au fil des 400 pages du roman : aux yeux des autres personnages d’abord, par ses actions ensuite et par le regard que le lecteur porte sur l’ensemble pour finir. Le poids de l’histoire personnelle, la force de caractère et l’aptitude au changement guideront leur parcours. Ainsi d’un des plus beaux rôles, celui de Reeny qui, une fois l’enlèvement commis, en percevra toute l’abjection, arrivera à se mettre dans la peau de la mère de l’enfant et mettra tout en œuvre pour protéger celui-ci. Ou encore du grand-père qui, de silences à propos ou d’injonctions incontournables, arrivera à canaliser son beau-fils sans le ridiculiser.
Roman noir parfait, alliant sens du suspense et propos engagé, « Septembre septembre » s’impose par sa fureur rentrée, son ton cru et direct et ses thèmes hélas toujours d’actualité.

 

Nicolas Fanuel

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